446 LETTRES DE MEMMIUS
nature humaine, dans ces cantons, était celle des bêtes féroces, et en vérité nous ne valions guère mieux.
Jetez les yeux sur toutes les autres nations connues ; vous ne voyez que des tyrans et des esclaves, des dévastations, des con- spirations, et des supplices.
Les animaux sont encore plus misérables que nous : assujettis aux mêmes maladies, ils sont sans aucun secours; nés tous sen- sibles, ils sont dévorés les uns par les autres. Point d'espèce qui n'ait son bourreau, La terre, d'un pôle à l'autre, est un cbani]) de carnage, et la nature sanglante est assise entre la naissance et la mort.
Quelques poètes, pour remédier à tant d'horreurs, ont ima- giné les enfers. Étrange consolation ! étrange chimère! les enfers sont chez nous. Le chien à trois têtes, et les trois parques, et les trois furies, sont des agneaux en comparaison de nos Sylla et de nos \Iarius,
Comment un Dieu aurait-il pu former ce cloaque épouvan- table de misères et de forfaits? On suppose un Dieu puissant, sage, juste, et bon ; et nous voyons de tous côtés folie, injustice, et méchanceté. On aime mieux alors nier Dieu que le blasphé- mer. Aussi avons-nous cent épicuriens contre un platonicien. Voilà les vraies raisons de l'athéisme ; le reste est dispute d'école.
��\L — Réponse aux plaintes des athées.
A ces plaintes du genre humain, à ces cris éternels de la nature toujours souffrante, que répondrai-je?
J'ai vu évidemment des fins et des moyens. Ceux qui disent que ni l'œil n'est fait pour voir, ni l'oreille pour entendre, ni l'estomac pour digérer, m'ont paru des fous ridicules ; mais ceux qui, dans leurs tourments, me baignent de leurs larmes, qui cherchent un Dieu consolateur, et qui ne le trouvent pas, ceux-là m'attendrissent; je gémis avec eux, et j'oubhe de les condamner.
Mortels qui souffrez et qui pensez, compagnons de mes sup- plices, cherchons ensemble quelque consolation et quelques arguments. Je vous ai dit qu'il est dans la nature une intelligence, un Dieu; mais vous ai-jc dit qu'il pouvait faire mieux? le sais- je? dois-je le présumer? suis-je de ses conseils? Je le crois très- sage ; son soleil et ses étoiles me l'apprennent. Je le crois très- juste et très-l)on : car d'où lui viendraient l'injustice et la malice?
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