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EN FAIT DE JUSTICE. 497

Cependant il faut prendre un parti, et il ne faut pas le prendre au hasard. Il est donc nécessaire à notre nature faible, aveugle, toujours sujette à l'erreur, d'étudier les probabilités avec autant de soin que nous apprenons l'arithmétique et la géométrie.

Cette étude des probabilités est la science des juges : science aussi respectable que leur autorité même, puisqu'elle est le fon- dement de leurs décisions.

Un juge passe sa vie à peser des probabilités les unes contre les autres, à les calculer, à évaluer leur force.

Dans le civil, tout ce qui n'est pas soumis à une loi clairement énoncée est soumis au calcul des probabilités.

Dans le criminel^ tout ce qui n'est pas prouvé évidemment y est soumis de même, mais avec une dilïérence essentielle. Quelle est cette différence ? Celle de la vie et de la mort, celle de l'hon- neur de toute une famille et de son opprobre.

S'il s'agit d'expliquer un testament équivoque, une clause ambiguë d'un contrat de mariage, d'interpréter une loi obscure sur les successions, sur le commerce, il faut absolument que vous décidiez, et alors la plus grande probabilité vous conduit. Il ne s'agit que d'argent.

Mais il n'en est pas de même quand il s'agit d'ùter la vie et l'honneur à un citoyen. Alors la plus grande probabilité ne suffit pas. Pourquoi? C'est que si un chani]) est contesté entre deux parties, il est évidemment nécessaire, poui- l'intérêt public et pour la justice particulière, que l'une des deux ])arties possède le champ. 11 n'est pas possible qu'il n'appartienne à personne. Mais quand un homme est accusé d'un délit, il n'est pas évidem- ment nécessaire qu'il soit livré au bourreau sur la plus grande probabilité. Il est très-possible qu'il vive sans troubler l'harmonie de l'État. Il se peut que vingt apparences contre lui soient balan- cées par une seule en sa faveur. C'est là le cas, et le seul cas, de la doctrine du probabilisme.

Si, dans le fameux et triste jugement contre Langlade ' et sa femme, on avait pesé probabilité contre probal)ilité, indice contre indice, un gentilhomme innocent ne serait pas mort aux galères ai)rès avoir subi deux fois la torture.

Les juges de Toulouse, ({ui condamnèrent Calas^ au plus hor- ril)le supplice, devaient avoir certainement plus de présomptions de son innocence que de son crime.

��1. Voyez tome XVHI, page 117.

2. Voyez tome XXIV, page 402; et XXV,

��,18. 28. — MÉLAMGE-^. VII. 32

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