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368 LA VOIX

Jo leur (leiiiaiulai ce que signifiait co mot étrange d'esclaves mainmortables '.

« Lorsque autrefois, me dit le syndic, nos maîtres n'étaient pas contents des dépouilles dont ils s'emparaient dans nos chau- mières après notre mort, ils nous taisaient déterrer; on coupait la main droite à nos cadavres, et on la leur présentait en céré- monie comme une indemnité de l'argent qu'ils n'avaient pu ravir à notre indigence, et comme un exemple terrible qui avertissait les enfants de ne jamais toucher aux effets de leurs pères, qui devaient être la proie des moines nos souverains. »

Je frémissais, et il continua ainsi :

a Nous sommes esclaves dans nos biens et dans nos personnes. Si nous demeurons dans la maison de nos pères et mères, si nous y tenons avec nos femmes un ménage séparé, tout le bien appartient aux moines à la mort de nos parents. On nous chasse du logis paternel, nous demandons l'aumône à la porte de la maison où nous sommes nés. Non-seulement on nous refuse cette aumône; mais nos maîtres ont le droit de ne payer ni les remèdes fournis à nos parents, ni les derniers bouillons qu'on leur a donnés. Ainsi, dans nos maladies, nul marchand n'ose nous vendre un linceul à crédit; nul ])oucher n'ose nous fournil- un peu de viande; l'apothicaire craint de nous donner une médecine qui pourrait nous rendre la vie. Nous mourons aban- donnés de tous les hommes, et nous n'emportons dans le sépulcre que l'assurance de laisser des enfants dans la misère et dans l'esclavage.

« Si un étranger, ignorant ces usages, a le malheur de venir habiter un an et un jour dans cette contrée barbare, il devient esclave des moines ainsi que nous. Qu'il acquière ensuite une fortune dans un autre pays, cette fortune appartient à ces mêmes moines; ils la revendiquent au bout de l'univers, et ce droit s'appelle le droit de poursuite-.

« S'ils peuvent prouver qu'une fille mariée n'ait pas couché dans la maison de son père la première nuit de ses noces, mais dans celle de son mari, elle n'a plus de droit à la succession paternelle. On lance contre elle des monitoires qui effrayent tout un pays, et qui forcent souvent des paysans intimidés à déposer que la mariée pourrait bien avoir commis le crime de passer la première nuit chez son époux : alors ce sont les moines qui hé-

1. Voyez aussi tome XV, pages i27-4'28.

-'. Le droit de poursuite a été aboli par Pédit de 1778. (K.)

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