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SUR L’INDE.

inférieure. On peut s’endurcir la peau par des préparations, et les charlatans vendaient chèrement ces secrets aux accusés. Le plongement dans une rivière était trop équivoque. Il est trop clair qu’on surnage, quand on est lié par des cordes qui font, avec le corps, un volume moins pesant qu’un pareil volume d’eau. Manier un fer brûlant était plus dangereux, mais aussi plus rare. Passer rapidement entre deux bûchers n’était pas un grand risque : on pouvait tout au plus brûler ses cheveux et ses habits.

Ces épreuves sont si évidemment le fruit du génie oriental qu’elles vinrent enfin aux Juifs. Le Vaiedabber, que nous appelons les Nombres, nous apprend[1] qu’on institua dans le désert l’épreuve des eaux de jalousie. Si un mari accusait sa femme d’adultère, le prêtre faisait boire à la femme d’une eau chargée de malédictions, dans laquelle il jetait un peu de poussière ramassée sur le pavé du tabernacle, c’est-à-dire probablement sur la terre, car le tabernacle, composé de pièces de rapport et porté sur une charrette, ne pouvait guère être pavé. Il disait à la femme : « Si vous êtes coupable, votre cuisse pourrira, et votre ventre crèvera. » On remarque que, dans toute l’histoire juive, il n’y a pas un seul exemple d’une femme soumise à cette épreuve ; mais ce qui est étrange, c’est que, dans l’Évangile de saint Jacques, il est dit que saint Joseph et la sainte Vierge furent condamnés tous deux à boire de cette eau de jalousie[2], et que tous deux en ayant bu impunément, saint Joseph reprit son épouse dont il s’était séparé après les premiers signes de sa grossesse. L’Évangile de saint Jacques[3], quoique intitulé premier Évangile, fut à la vérité rayé du catalogue des livres canoniques : il est proscrit, mais, en quelque temps qu’il ait été composé, c’est un monument qui nous apprend que les Juifs conservèrent très-longtemps l’usage de ces épreuves.

Nous ne voyons point qu’aucun peuple de l’Asie ait jamais adopté les jugements de Dieu par l’épée, ou par la lance. Ce fut une coutume inventée par les sauvages qui détruisirent l’empire romain. Ayant adopté le christianisme, ils y mêlèrent leurs barbaries. C’était une jurisprudence bien digne de ces peuples, que le meurtre devînt une preuve de l’innocence, et qu’on ne pût se laver d’un crime que par en commettre un plus grand. Nos

  1. Versets 17-21.
  2. Voyez tome XXVII, page 478.
  3. Voyez cet évangile ou protévangile, tome XXVII, pages 470-482.