Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/566

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tous les vers qu’il y voudra ; mais il aurait besoin d’un peu de protection. Que dites-vous d’un nommé Hardion, à qui on avait donné Samson à examiner, et qui a fait tout ce qu’il a pu pour empêcher qu’on ne le jouât ? Nous avons besoin d’un examinateur raisonnable ; mais surtout que Rameau ne s’effarouche point des critiques. La tragédie de Samson doit être singulière, et dans un goût tout nouveau comme sa musique. Qu’il n’écoute point les censeurs, Savez-vous bien que M. de Richelieu a trouvé la musique détestable ? Hélas ! M. de Richelieu l’a eue chez lui sans la connaître. Adieu, écrivez-moi.


521. — Á M. L’ABBÉ ASSELIN.
Cirey, 4 novembre.

Demoulin a bien mal fait, monsieur, de ne vous avoir pas envoyé cette dernière scène complète. Je viens de lui écrire et de lui recommander de vous la porter sur-le-champ. C’est, comme je vous l’ai dit, une traduction assez fidèle de la dernière du Jules César de Shakespeare. Ce morceau devient par là un morceau singulier et assez intéressant dans la république des lettres. Voilà le point de vue dans lequel un journaliste devait examiner ma tragédie. Elle donne une véritable idée du goût des Anglais. Ce n’est pas en traduisant des poètes en prose qu’on fait connaître le génie poétique d’une nation, mais en imitant en vers leur goût et leur manière. Une dissertation sur ce goût, si différent du nôtre, était ce qu’on devait attendre de l’abbé Desfontaines. Il sait l’anglais ; il doit avoir lu Shakespeare ; il était à portée de donner sur cela des lumières au public. Si, au lieu de s’écrier, en parlant de ma pièce : Que de mauvais vers ! que de vers durs[1] ! il avait voulu distinguer entre l’éditeur et moi, et s’attacher à faire voir, en critique sage, les différences qui se trouvent entre le goût des nations, il aurait rendu un service aux lettres, et ne m’aurait point offensé. Je me connais assez en vers, quoique je n’en fasse plus, pour assurer que cette tragédie, telle qu’on l’imprime à présent en Hollande, est l’ouvrage le plus fortement versifié que j’aie fait. Tous les étrangers, qui retrouvent d’ailleurs dans cette pièce les hardiesses qu’on prend en Italie et à Londres, et qu’on prenait autrefois à Athènes, me rendent un peu plus de justice que l’abbé Desfontaines et mes ennemis ne m’en ont rendu. Ils

  1. Expressions presque textuelles de la lettre du 16 septembre 1735, dans les Observations. (Cl.)