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ANNÉE 1716.

et que tout sot est fripon ; mais ne serait-il pas la preuve trop évidente du contraire, si pourtant c’est véritablement de l’esprit que le seul talent de la versification ? Je m’en rapporte à vous et à tout Paris. Rousseau ne passe point pour avoir d’autre mérite ; il écrit si mal en prose que son factum est une des pièces qui ont servi à le faire condamner. Au contraire celui de M. Saurin est un chef-d’œuvre.

    .    .    .    .    . Et quid facundia posset
Tum patuit     .    .    .    .    .

(ovid., Métam., XIII, v. 382.)


Enfin voulez-vous que je vous dise franchement mon petit sentiment sur MM. de Lamotte et Rousseau ? M. de Lamotte pense beaucoup, et ne travaille pas assez ses vers : Rousseau ne pense guère, mais il travaille ses vers beaucoup mieux. Le point serait de trouver un poète qui pensât comme Lamotte, et qui écrivît comme Rousseau (quand Rousseau écrit bien, s’entend) ; mais

Pauci, quos æquus amavit
Jupiter, aut ardens evexit ad æthera virtus,
Dîri geniti, potuere…

(En., VI, 129.)

J’ai bien envie de revenir bientôt souper avec vous et raisonner de belles-lettres : je commence à m’ennuyer beaucoup ici[1]. Or il faut que je vous dise ce que c’est que l’ennui :

Car vous qui toujours le chassez,
Vous pourriez l’ignorer peut-être :

Trop heureux si ces vers, à la hâte tracés,

Ne l’ont pas déjà fait connaître !
C’est un gros dieu lourd et pesant,
D’un entretien froid et glaçant,
Qui ne rit jamais, toujours bâille.
Et qui, depuis cinq ou six ans,
Dans la foule des courtisans
Se trouvait toujours à Versaille.
Mais on dit que, tout de nouveau,
Vous l’allez revoir au parterre.
Au Capricieux[2] de Rousseau :
C’est là sa demeure ordinaire.

  1. À Sully-sur-Loire, lieu de son exil.
  2. Mauvaise pièce de Rousseau qu’on voulait mettre au théâtre, mais qu’on fut obligé d’abandonner aux répétitions. (Note de Voltaire.) — Cette note est de 1732. Le Capricieux avait été joué le 17 décembre 1700.