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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/117

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cultiver, par la saine philosophie, une âme née pour commander. Croyez qu’il n’y a eu de véritablement bons rois que ceux qui ont commencé comme vous pour s’instruire, par connaître les hommes, par aimer le vrai, par détester la persécution et la superstition. Il n’y a point de prince qui, en pensant ainsi, ne puisse ramener l’âge d’or dans ses États. Pourquoi si peu de rois recherchent-ils cet avantage ? Vous le sentez, monseigneur : c’est que presque tous songent plus à la royauté qu’à l’humanité ; Vous faites précisément le contraire. Soyez sûr que, si un jour le tumulte des affaires et la méchanceté des hommes n’altèrent point un si divin caractère, vous serez adoré de vos peuples et chéri du monde entier. Les philosophes dignes de ce nom voleront dans vos États, et, comme les artisans célèbres viennent en foule dans le pays où leur art est plus favorisé, les hommes qui pensent viendront entourer votre trône.

L’illustre reine Christine quitta son royaume pour aller chercher les arts ; régnez, monseigneur, et que les arts viennent vous chercher.

Puissiez-vous n’être jamais dégoûté des sciences par les querelles des savants ! Vous voyez, monseigneur, par les choses que vous daignez me mander, qu’ils sont hommes, pour la plupart, comme les courtisans mêmes. Ils sont quelquefois aussi avides, aussi intrigants, aussi faux, aussi cruels ; et toute la différence qui est entre les pestes de cour et les pestes de l’école, c’est que ces derniers sont plus ridicules.

Il est bien triste pour l’humanité que ceux qui se disent les déclarateurs des commandements célestes, les interprètes de la Divinité, en un mot les théologiens, soient quelquefois les plus dangereux de tous ; qu’il s’en trouve d’aussi pernicieux dans la société qu’obscurs dans leurs idées, et que leur âme soit gonflée de fiel et d’orgueil, à proportion qu’elle est vide de vérités. Ils voudraient troubler la terre pour un sophisme, et intéresser tous les rois à venger par le fer et par le feu l’honneur d’un argument in ferio ou in barbara.

Tout être pensant qui n’est pas de leur avis est un athée, et tout roi qui ne les favorise pas sera damné. Vous savez, monseigneur, que le mieux qu’on puisse faire, c’est d’abandonner à eux-mêmes ces prétendus précepteurs et ces ennemis réels du genre humain. Leurs paroles, quand elles sont négligées, se perdent en l’air comme du vent ; mais si le poids de l’autorité s’en mêle, ce vent acquiert une force qui renverse quelquefois le trône.