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variés tels que Pope, Addison, Machiavel, Leibnitz, Fontenelle. Pour M. de Fénelon, je ne vois pas par où il mérite ce titre. Permettez-moi, mon cher abbé, de vous dire librement ma pensée : cette liberté est la preuve de mon estime.

J’ajouterai que la palme de l’érudition est un mot plus l’ait pour le latin du Père Jouvency que pour le français de l’abbé d’Olivet.

Je vous demande en grâce, à vous et aux vôtres, de ne vous jamais servir de cette phrase : nul style, nul goût dans la plupart, sans y daigner mettre un verbe. Cette licence n’est pardonnable que dans la rapidité de la passion, qui ne prend pas garde à la marche naturelle d’une langue ; mais dans un discours médité cet étranglement me révolte. Ce sont nos avocats qui ont mis ces phrases à la mode ; il faut les leur laisser, aussi bien qu’au Journal de Trévoux. Mais je m’aperçois que je remontre à mon curé ; je vous en demande très-sérieusement pardon. Si je voulais vous dire tout ce que j’ai trouvé d’admirable dans votre discours, je serais bien plus importun.

J’ai reçu hier la Vie de Vanini[1] ; je l’ai lue. Ce n’était pas la peine de faire un livre. Je suis fâché qu’on ait cuit ce pauvre Napolitain ; mais je brûlerais volontiers ses ennuyeux ouvrages, et encore plus l’histoire de sa vie. Si je l’avais reçue un jour plus tôt, vous l’auriez avec ma lettre.

Un petit mot encore, je vous prie, sur le style moderne. Soyez bien persuadé que ces messieurs ne cherchent des phrases nouvelles que parce qu’ils manquent d’idées. Hors M. de Fontenelle, patriarche respectable d’une secte ridicule, tous ces gens-là sont ignorants, et n’ont point de génie. Pardonnez-leur de danser toujours, parce qu’ils ne peuvent marcher droit. Adieu ; s’il y a quelque chose de nouveau dans la littérature, secouez votre infâme paresse, et écrivez à votre ami.


541. — Á M. THIERIOT[2].
Á Cirey… 1736.

Je remercie aussi tendrement Pollion que je suis désespéré contre ceux qui devraient être des Pollions, et qui ne le sont pas. Mon cher ami, je suis dans l’amertume : il est afreux pour moi de vivre en France ; mais l’amitié me retient et me rend tout supportable.

  1. Voyez la lettre 528.
  2. Editeurs de Cayrol et François.