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Divertissez-vous bien. Celui qui ne cherche que son plaisir doit vivre à Paris ; celui qui veut écrire librement, et vivre pour la postérité, doit aller à Londres ou à la Haye ; mais le voyage que j’ai le plus envie de faire est celui de la barrière Blanche[1].


542. — Á M. DE CIDEVILLE.
8 janvier.

Un orage bien cruel et bien imprévu m’a arraché quelque temps, mon charmant ami, du port où je vivais heureux et tranquille. Il faut que j’aie été bien accablé, puisque je ne vous ai point écrit. Le premier usage que je fais du retour de ma tranquillité et de mon bonheur, c’est de vous le dire, et de goûter avec vous une félicité pure et nouvelle, en vous parlant du malheur que j’ai essuyé. Je ne sais quelle calomnie m’avait encore noirci dans ce séjour du vice qu’on appelle la cour. Il sera dit que les poëtes, comme les prophètes, seront toujours persécutés dans leur pays. Voilà le seul prix, mon cher Cideville, de vingt ans de travail. On m’a mandé que ces horreurs, qui ont été sur le point de m’accabler, avaient été fabriquées par le barbouilleur de Didon. Il devait bien se contenter d’avoir corrigé Virgile. Que peut-il, après cela, daigner avoir à démêler avec Voltaire ? J’avais fait ma pièce des Américains, mais je ne savais pas qu’il m’avait volé, et je ne croyais pas que la rage d’être joué le premier pût le porter à ourdir une aussi vilaine trame que celle dont on l’accuse. Je ne le veux pas croire ; j’ai trop de respect pour les lettres : je ne veux pas les déshonorer au point de croire les gens de lettres aussi méchants que les prêtres. Je me borne, mon cher ami, à tâcher de bien faire. J’oublie la calomnie, j’ignore les intrigues. Je fais actuellement transcrire mon ouvrage pour vous l’envoyer, et, si vous l’approuvez, je croirai avoir toujours été heureux.

Je ne sais si je vous ai parlé de cette sottise de Demoulin, qui voulait que vos vers valussent un habit au petit Lamare. Ce petit homme serait le mieux vêtu du monde si vous aviez accordé la requête ; mais Demoulin n’a pas un papier à vous, et je l’ai bien grondé de la lettre indiscrète qu’il vous écrivit.

Mille tendres compliments au philosophe Formont et à votre cher du Bourg-Theroulde.

Je vous dis en confidence que je me trouve dans une situa-

  1. Où Thieriot demeurait alors. (A. F.)