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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/171

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parvenir jusqu’à vous les sentiments d’estime et d’admiration avec lesquels je suis à jamais, monsieur, votre très-affectionné ami,

Fédéric

677. — À M. DE MAIRAN.
À Cirey, le 9 novembre.

En partant de Paris, monsieur, au mois de juin[1] je chargeai un jeune homme, nommé de Lamare, de vous remettre le Mémoire sur les Forces motrices que vous aviez eu la bonté de me prêter ; mais j’ignore encore si le jeune homme vous l’a rendu. Il serait heureux pour lui qu’il eût fait la petite infidélité de le garder pour s’instruire ; mais c’est un trésor qui n’est pas à son usage.

La veille de mon départ, j’avais demandé à M. Pitot s’il avait lu ce Mémoire ; il m’avait répondu que non : sur quoi je conclus que, dans votre Académie, il arrive quelquefois la même chose qu’aux assemblées des comédiens ; chacun ne songe qu’à son rôle, et la pièce n’en est pas mieux jouée.

J’avais encore demandé à M. Pitot s’il croyait que la quantité du mouvement fût le produit de la masse par le carré de la vitesse ; il m’avait assuré qu’il était de ce sentiment, et que les raisons de MM. Leibnitz et Bernouilli lui avaient paru convaincantes ; mais à peine fus-je arrivé à Cirey qu’il m’écrivit qu’il venait de lire enfin votre Mémoire, qu’il était converti, que vous lui aviez ouvert les yeux, que votre dissertation était un chef-d’œuvre.

Pour moi, monsieur, je n’avais point à changer de parti. Il n’était pas question de me convertir, mais de m’apprendre mon catéchisme. Quel plaisir, monsieur, d’étudier sous un maître tel que vous ! J’ai trop tardé à vous remercier des lumières et du plaisir que je vous dois. Avec quelle netteté vous exposez les raisons de vos adversaires ! vous les mettez dans toute leur force, pour ne leur laisser aucune ressource lorsque ensuite vous les détruisez. Vous démêlez toutes les idées, vous les rangez chacune à leur place ; vous faites voir clairement le malentendu qu’il y avait à dire qu’il faut quatre fois plus de force pour porter un fardeau quatre lieues que pour une lieue, etc., etc. J’admire comme vous distinguez les mouvements accélérés, qui sont comme le carré des vitesses et des temps, d’avec les forces, qui ne sont qu’en raison des vitesses et des temps.

Quand vous avez fait voir, par le choc des corps mous et des

  1. C’est-à-dire, dans les premiers jours de juillet. (Cl.)