Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/270

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Je vous abandonne volontiers le divin Aristote, le divin platon, et tous les héros de la philosophie scolastique. C’étaient des hommes qui avaient recours à des mots pour cacher leur ignorance. Leurs disciples les en croyaient sur leur réputation ; et des siècles entiers se sont contentés de parler sans s’entendre. Il n’est plus permis de nos jours de se servir de mots que dans leur sens propre. M. Wolff donne la définition de chaque mot, il règle son usage ; et, ayant fixé les termes, il prévient beaucoup de disputes qui ne naissent souvent que d’un jeu de mots, ou de la différente signification que les personnes y attachent.

Il n’y a rien de plus vrai que ce que vous dites de la métaphysique ; mais je vous avoue que, indépendamment de cela, je ne saurais défendre à mon esprit, naturellement curieux, d’approfondir des mystères qui l’intéressent beaucoup, et qui l’attirent par les difficultés qu’ils lui présentent.

Vous me dites le plus poliment du monde que je suis une bête. Je m’en étais bien douté un peu jusqu’à présent ; mais je commence à en être convaincu. À parler sérieusement, vous n’avez pas tort ; et cette raison, prérogative dont les hommes tirent un si orgueilleux avantage, qui est-ce qui la possède ? Des hommes qui, pour vivre ensemble, ont été obligés de se choisir des supérieurs et de se faire des lois, pour s’apprendre que c’était une injustice de s’entre-tuer, de se voler, etc. Ces homme raisonnables se font la guerre pour de vains arguments qu’ils ne comprennent pas ; ces êtres raisonnables ont cent religions différentes, toutes plus absurdes les unes que les autres ; ils aiment à vivre longtemps, et se plaignent de la durée du temps et de l’ennui pendant toute leur vie. Sont-ce là les effets de cette raison qui les distingue des brutes ?

On peut m’objecter les savantes découvertes des géomètres, les calculs de M. Bernouilli et de Newton ; mais en quoi ces gens-là étaient-ils plus raisonnables que les autres ? Ils passaient toute leur vie à chercher des propositions algébriques, des rapports de nombres ; et ils ne tiraient aucun profit de la courte et briève durée de la vie.

Que j’approuve un philosophe qui sait se délasser auprès d’Émilie ! Je sais bien que je préférerais infiniment sa connaissance à celle du centre de gravité, de la quadrature du cercle, de l’or potable, et du péché contre le Saint-Esprit.

Vous parlez, monsieur, en homme instruit sur ce qui regarde les princes du Nord[1]. ils ont incontestablement de grandes obligations à Luther et à Calvin (pauvres gens d’ailleurs), qui les ont affranchis du joug des prêtres et de la cour romaine, et qui ont augmenté considérablement leurs revenus par la sécularisation des biens ecclésiastiques. Leur religion cependant n’est pas purifiée de superstitieux et de bigots. Nous avons une secte de béats qui ne ressemblent pas mal aux presbytériens d’Angleterre, et qui sont d’autant plus insupportables qu’ils damnent avec beaucoup d’orthodoxie et sans appel tous ceux qui ne sont pas de leur avis. On est obligé de cacher ses sentiments pour ne se point faire d’ennemis mal à propos. C’est un

  1. Voyez la fin de la lettre 741.