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des jésuites qui a fait imprimer le Jules César. C’est un homme de mauvaises mœurs, qui est, dit-on, à Bicêtre. Est-il possible que la littérature soit souvent si loin de la morale ! Vous joignez, monsieur, l’esprit à la vertu : aussi rien n’égale l’estime avec laquelle je serai toute ma vie, etc.


553. — Á M. THIERIOT.
À Cirey, le 2 février.

Mon cher ami, quelque vivacité d’imagination qu’ait le petit Lamare, je suis bien sûr qu’il ne vous a point dit combien je suis pénétré de tout ce que vous avez fait pour nos Américains. Vous avez servi de père à mes enfants ; l’obligation que je vous en ai est un plaisir plus sensible pour moi que le succès de ma pièce. J’attends avec impatience les détails que vous m’en apprendrez. Le divin M. d’Argental m’en a déjà appris de bons. Le petit Lamare était si ému du gain de la victoire qu’il savait à peine ce qui s’était passé dans le combat. Il m’a dit, en général, que Lefranc avait été battu, et que vous chantiez le Te Deum. Mandez-moi, je vous prie, si M. de La Popelinière est content ; car ce n’est qu’un De profundis qu’il faut chanter si je n’ai pas son suffrage. Je crois que le petit Lamare mériterait à présent son indulgence et sa protection ; il m’a paru avoir une ferme envie d’être honnête homme et sage. On a été fort content de lui à Cirey. Il ne peut rien faire de mieux que de vous voir quelquefois, et de prendre vos avis.

Je n’ai pu avoir de privilège pour Jules César. Il n’y aura qu’une permission tacite : cela me fait trembler pour Samson. Les héros de la fable et de l’histoire semblent être ici en pays ennemi. Malgré cela, j’ai travaillé à Samson dès que j’ai su que nous avions gagné la bataille au Pérou ; mais il faut que Rameau me seconde, et qu’il ne se laisse pas assommer par toutes les mâchoires d’ânes qui lui parlent. Peut-être que mon dernier succès lui donnera quelque confiance en moi. J’ai examiné la chose très-mûrement ; je ne veux point donner dans des lieux communs. Samson n’est point un sujet susceptible d’un amour ordinaire. Plus on est accoutumé à ces intrigues, qui sont toutes les mêmes sous des noms différents, plus je veux les éviter. Je suis très-fortement persuadé que l’amour, dans Samson, ne doit être qu’un moyen, et non la fin de l’ouvrage. C’est lui, et non pas Dalila, qui doit intéresser. Cela est si vrai que, si Dalila paraissait au cinquième acte, elle n’y ferait qu’une figure ridicule. Cet