Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/333

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sant, et avec une horreur visible pour ce crime. Parmi les voyageurs, je défie le plus déterminé menteur d’oser dire qu’il y ait une peuplade, une famille où il soit permis de manquer à sa parole. Je suis bien fondé à croire que Dieu ayant créé certains animaux pour paître en commun, d’autres pour ne se voir que deux à deux très-rarement, les araignées pour faire des toiles, chaque espèce a les instruments nécessaires pour les ouvrages qu’elle doit faire. L’homme a reçu tout ce qu’il faut pour vivre en société ; de même qu’il a reçu un estomac pour digérer, des yeux pour voir, une âme pour juger.

Mettez deux hommes sur la terre, ils n’appelleront bon, vertueux et juste, que ce qui sera bon pour eux deux. Mettez-en quatre, il n’y aura de vertueux que ce qui conviendra à tous les quatre ; et si l’un des quatre mange le souper de son compagnon, ou le bat, ou le tue, il soulève sûrement les autres. Ce que je dis de ces quatre hommes, il le faut dire de tout l’univers. Voilà, monseigneur, à peu près le plan sur lequel j’ai écrit cette Mètaphysique morale ; mais quand il s’agit de vertu, est-ce à moi à en parler devant vous ?

Les vertus sont l’apanage
Que vous reçûtes des cieux ;
Le trône de vos aïeux,
Près de ces dons précieux.
Est un bien faible avantage.
C’est l’homme en vous, c’est le sage
Qui m’asservit sous sa loi.
Ah ! si vous n’étiez que roi,
Vous n’auriez point mon hommage.

Jugez mes idées, grand prince ; car votre âme est le tribunal où mes jugements ressortissent. Que Votre Altesse royale me donne d’envie de vivre, pour voir un jour de mes yeux le Salomon du Nord ! Mais j’ai bien peur de n’être pas si heureux que le bon vieillard Siméon[1]. Nous ne passons point devant votre portrait sans dire notre hymne qui commence :

Espérons le bonheur du monde.

J’attends votre décision sur l’Histoire de Louis XIV et sur les Éléments de la Philosophie de Newton ; si mes tributs ont été reçus avec bonté, j’espère que j’aurai des instructions pour récompense

  1. Voyez le chapitre ii de l’Évangile de saint Luc.