Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/335

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pensable de commencer par définir ce qu’on entend par liberté, quand on veut en parler et se faire entendre.

J’appelle liberté le pouvoir de penser à une chose ou de n’y pas penser, de se mouvoir ou de ne se mouvoir pas, conformément au choix de son propre esprit. Toutes les objections de ceux qui nient la liberté se réduisent à quatre principales que je vais examiner l’une après l’autre.

Leur première objection tend à infirmer le témoignage de notre conscience et du sentiment intérieur que nous avons de notre liberté. Ils prétendent que ce n’est que faute d’attention sur ce qui se passe en nous-mêmes que nous croyons avoir ce sentiment intime de liberté et que lorsque nous faisons une attention réfléchie sur les causes de nos actions, nous trouvons, au contraire, qu’elles sont toujours déterminées nécessairement.

De plus, nous ne pouvons douter qu’il n’y ait des mouvements dans notre corps qui ne dépendent point de notre volonté, comme la circulation du sang, le battement de cœur, etc. ; souvent aussi la colère, ou quelque autre passion violente, nous emporte loin de nous, et nous fait faire des actions que notre raison désapprouve. Tant de chaînes visibles dont nous sommes accablés prouvent, selon eux, que nous sommes liés de même dans tout le resté[1].

L’homme, disent-ils, est tantôt emporté avec une rapidité et des secousses dont il sent l’agitation et la violence ; tantôt il est mené par un mouvement paisible dont il ne s’aperçoit pas, mais dont il n’est plus maître. C’est un esclave qui ne sent pas toujours le poids et la flétrissure de ses fers, mais qui n’en est pas moins esclave.

Ce raisonnement est tout semblable à celui-ci : les hommes sont quelquefois malades, donc ils n’ont jamais de santé. Or qui ne voit pas, au contraire, que sentir sa maladie et son esclavage, c’est une preuve qu’on a été sain et libre ?

Dans l’ivresse, dans l’emportement d’une passion violente, dans un dérangement d’organes, etc., notre liberté n’est plus obéie par nos sens ; et nous ne sommes pas plus libres alors d’user de notre liberté que nous ne le serions de mouvoir un bras sur lequel nous aurions une paralysie.

La liberté, dans l’homme, est la santé de l’àme[2].

  1. Cette phrase et quelques-unes de celles qui suivent se trouvent dans le ch. vii du Traité de Métaphysique.
  2. Ce vers est le cent deuxième du deuxième Discours sur l’Homme, intitulé