Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/344

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admettre l’une et l’autre. Il me suffit d’être assuré que je suis libre, et que Dieu prévoit tout ce qui doit arriver : car alors je suis obligé de conclure que son omni-science et sa prescience ne gênent point ma liberté, quoique je ne puisse point concevoir comme cela se fait ; de même que lorsque je me suis prouvé un Dieu, je suis obligé d’admettre la création ex nihilo, quoiqu’il me soit impossible de la concevoir.

5° Cet argument de la prescience de Dieu, s’il avait quelque force contre la liberté de l’homme, détruirait encore également celle de Dieu : car si Dieu prévoit tout ce qui arrivera, il n’est donc pas en son pouvoir de ne pas faire ce qu’il a prévu qu’il ferait. Or il a été démontré ci-dessus que Dieu est libre : la liberté est donc possible ; Dieu a donc pu donner à ses créatures une petite portion de liberté, de même qu’il leur a donné une petite portion d’intelligence. La liberté dans Dieu est le pouvoir de penser toujours tout ce qui lui plaît, et de faire toujours tout ce qu’il veut[1]. La liberté donnée de Dieu à l’homme est le pouvoir faible et limité d’opérer certains mouvements, et de s’appliquer à quelques pensées. La liberté des enfants qui ne réfléchissent jamais consiste seulement à vouloir et à opérer certains mouvements. Si nous étions toujours libres, nous serions semblables à Dieu. Contentons-nous donc d’un partage convenable au rang que nous tenons dans la nature : mais, parce que nous n’avons pas les attributs d’un Dieu, ne renonçons pas aux facultés d’un homme.


782. — À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
(Cirey) 24 octobre.

Monseigneur, l’admiration, le respect, la reconnaissance, souffrez que je dise encore le tendre attachement pour Votre Altesse royale, ont dicté toutes mes lettres, et ont occupé mon cœur. La douleur la plus vive vient aujourd’hui se mêler à ces sentiments. Voici un extrait de la lettre que je reçois dans le moment d’un homme[2] aussi attaché que moi à Votre Altesse royale. Cet extrait parlera mieux que tout ce que je pourrais dire[3].

  1. Cette phrase et les deux autres qui la suivent sont dans le chap. vii du Traité de Métaphysique. avec quelques légères différences.
  2. Thieriot, qui avait alarmé Voltaire mal à propos, au sujet d’un libelle fait contre Frédéric-Guillaume Ier.
  3. Comme la division du prince royal et du roi avait éclaté, il était tout simple que les ennemis de M. de Voltaire l’accusassent, en qualité d’ami du prince royal,