J’ai donc, suivaint votre conseil, abandonné pour un temps la raison réciproque des carrés des distances, et la progression en nombres impairs dans laquelle tombent les corps graves, et autres casse-tête, pour retourner à Melpomène. J’ai fait Mèrope, mon cher ami, arbiter elegantiarum et judex noster. Ce n’est pas la Mérope de Maffei, c’est la mienne. Je veux vous l’envoyer, à vous et à notre aimable Cideville. Il y a si longtemps que je n’ai payé aucun tribut à notre amitié qu’il faut bien réparer le temps perdu. Ce n’était pas la seule tragédie qu’on faisait à Cirey. Linant avait remis sur le métier cette intrigue égyptiatique[1] que je lui avais fait commencer il y a sept[2] ans. Enfin il avait repris vigueur, et je me flattais que dans quatorze ans il aurait fini le cinquième acte. Raillerie à part, s’il avait voulu un peu travailler, je crois que l’ouvrage aurait eu du succès ; mais vous savez que le démon d’écrire en prose avait tellement possédé la sœur que Mme du Châtelet a été dans la nécessité absolue de renvoyer la sœur et le frère. Ils ont grand tort l’un et l’autre : ils pouvaient se faire un sort très-doux, et se préparer un avenir agréable. Linant aurait passé sa vie dans la maison avec une pension. Son pupille en aurait eu soin toute sa vie. Il y a de la probité, de l’honneur, dans cette maison du Châtelet. Celui qui avait élevé M. du Châtelet est mort dans leur famille assez à son aise. Que pouvait faire de mieux un paresseux comme Linant, un homme qui, d’ailleurs, a si peu de ressources, un homme qui doit craindre à tout moment de perdre la vue ; que pouvait-il, dis-je, faire de mieux que de s’attacher à cette maison ? Je crois qu’il se repentira plus d’un jour ; mais il ne me convient pas de conserver avec lui le moindre commerce. ! Mon devoir a été de lui faire du bien quand vous et M. de Cideville me l’avez recommandé. Mon devoir est de l’oublier, puisqu’il a manqué à Mme du Châtelet.
Voulez-vous, en attendant Mèrope, une Ode[3] que j’ai faite sur la Paix ? On a tant fait de ces drogues que je n’ai pas voulu donner la mienne. Envoyez-la à notre ami Cideville, et dites-m’en votre avis ; mais qu’elle n’ennuie que Cideville et vous. Les esprits sont à Paris dans une petite guerre civile ; les jansénistes attaquent les jésuites, les cassinistes s’élèvent contre Maupertuis, et ne veulent pas que la terre soit plate aux pôles. Il faudrait les y envoyer pour leur peine. Les lullistes appellent les partisans