Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/522

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J’honore fort messieurs du Malabar, mais je les crois de pauvres physiciens. Les Chinois, auprès de qui les Malabares sont à peine des hommes, sont de mauvais astronomes ; le plus médiocre jésuite est un aigle chez eux. Le tribunal des mathématiques de la Chine, avec toutes ses révérences et sa barbe en pointe, est un misérable collège d’ignorants qui prédisent la pluie et le beau temps, et qui ne savent pas seulement calculer juste une éclipse. Mais je veux que les barbares du Malabar aient une montagne en pain de sucre, qui leur tient lieu de gnomon : il est certain que leur montagne leur servira très-bien à leur faire connaître les équinoxes, les solstices, le lever et le coucher du soleil et des étoiles, les différences des heures, les aspects des planètes, les phases de la lune ; une boule au bout d’un bâton nous fera les mêmes effets en rase campagne, et le système de Copernic n’en souffrira pas.

Je prends la liberté d’envoyer à Votre Altesse royale mon système du Plaisir[1] ; je ne suis point sceptique sur cette matière, car depuis que je suis à Cirey, et que Votre Altesse royale m’honore de ses bontés, je crois le plaisir démontré.

Je m’étonne que, parmi tant de démonstrations alambiquées de l’existence de Dieu, on ne se soit pas avisé d’apporter le plaisir en preuve : car, physiquement parlant, le plaisir est divin, et je tiens que tout homme qui boit de bon vin de Tokai, qui embrasse une jolie femme, qui, en un mot, a des sensations agréables, doit reconnaître un Être suprême et bienfaisant. Voilà pourquoi les anciens ont fait des dieux de toutes les passions ; mais comme toutes les passions nous sont données pour notre bien-être, je tiens qu’elles prouvent l’unité d’un dieu car elles prouvent l’unité de dessein. Votre Altesse royale permet-elle que je consacre cette Épitre à celui[2] que Dieu a fait pour rendre heureux les hommes, à celui dont les bontés font mon bonheur et ma gloire ? Mme  du Châtelet partage mes sentiments. Je suis avec un profond respect et un dévouement sans bornes, monseigneur, etc.


891. — À M. PITOT,
de l’académie des sciences.
Juillet.

En vous remerciant, mon très-cher et très-éclairé philosophe, de toutes les nouvelles que vous me mandez de l’Académie et de

  1. Voyez, tome IX, le cinquième Discours sur la nature du Plaisir.
  2. Voyez la note sur le vers 105 du cinquième Discours.