Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fense. Je me dois à moi-même ma propre justification. J’ai pensé que je ne pouvais mieux l’établir qu’en rendant un compte exact des faits. Les réflexions que je vais ajouter en prouveront la vérité ; en même temps qu’elles feront cesser les clameurs du sieur de Voltaire, elles jetteront sur lui l’opprobre dont il cherchait à me couvrir, et engageront même à me plaindre sur ma malheureuse étoile, qui m’a procuré une aussi étrange liaison. En effet, quelle fatale connaissance pour moi que celle du sieur de Voltaire ! Et que penser de cet homme dont il est également dangereux d’être ami comme ennemi ; dont l’amitié a causé ma ruine et ma perte, et qui ne veut rien moins que me perdre une seconde fois, s’il est possible, depuis que pour lui demander mon dû je suis devenu son ennemi ?

Maintenant il me reste à établir mes moyens, et à répondre aux objections du sieur de Voltaire. Mais ne me prévient-on pas déjà sur ces deux objets ? Après les faits dont j’ai rendu compte, l’équité de ma cause ne s’annonce-t-elle pas d’elle-même, et les défenses du sieur de Voltaire ne sont-elles pas confondues d’avance ? Mes moyens sont ma demande. Après avoir été trompé, trahi, renié par le sieur de Voltaire, je lui demande au moins le prix de mon travail, le prix d’un ouvrage que j’ai imprimé pour lui et par ses ordres, que je n’ai imprimé que sur la foi d’une permission, traité que j’ai refusé de laisser paraître, tant qu’on ne me rapporterait pas la permission des supérieurs, et qui effectivement n’a jamais paru dans le public. Quelle est la preuve de mon travail ? La lettre du sieur de Voltaire. S’il me répond que dans sa lettre il n’a pas nommé l’ouvrage que j’ai imprimé pour lui, je lui réplique que je lui demande le payement d’un ouvrage que j’ai imprimé pour lui, et qu’il n’a point nommé dans sa lettre. Le sieur de Voltaire ose publier qu’il m’a payé en me remettant le manuscrit ; mais sa lettre le confond, elle prouve son imposture et sa mauvaise foi. Elle prouve qu’il ne m’avait pas encore payé en 1734, lorsque j’étais à la Bastille, et qu’il m’écrivit alors pour m’en offrir le prix. Avancera-t-il qu’il m’a payé depuis ? Sa variation ne suffirait-elle pas pour prouver son infamie ? D’ailleurs, sa lettre opère un commencement de preuve par écrit, et je demande, en vertu de l’ordonnance, à être admis à la preuve par témoins. Je demande à prouver que lorsque j’allai chez lui, le jour même que je l’ai fait assigner, sa réponse fut que, n’ayant tiré aucun profit de l’édition, il ne m’en devait que la moitié. Trouvera-t-on dans cette réponse, dont je suis prêt de rapporter la preuve, que l’offre qu’il me fit n’était que pour se rédimer de ma vexation ? Il m’a, dit-il, depuis quatre mois, fait toucher une gratification de 100 livres. Aurait-il été question de m’accorder une gratification s’il ne m’eût dû quelque chose ? Aurais-je pensé de l’en remercier par une lettre ? Mais qu’il représente ma lettre, on y verra le motif de cette gratification, on y verra que le sieur de Voltaire, alarmé d’un bruit qui se répandait qu’on imprimait un de ses ouvrages que je ne nommerai point, il me chargea d’employer tous mes soins tant à Paris qu’au dehors, pour découvrir si ce bruit avait quelque fondement, et que les 100 livres furent la récompense des mouvements que je m’étais donnés.

Mais il en faut venir à la grande objection du sieur de Voltaire, au re-