Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/94

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proche qu’il me fait de la perfidie la plus noire, au reproche d’abuser de la conjoncture où il se trouve, d’abuser d’une lettre qu’il a eu la facilité de m’écrire, et que j’ai su tirer de lui sous prétexte de solliciter ma réhabilitation ; d’en abuser, déjà, pour le forcer, par la crainte d’un procès déshonorant, à me payer une somme qu’il ne me doit pas.

C’est donc là le grand moyen du sieur de Voltaire, ou plutôt le déplorable sophisme avec lequel il prétend en imposer aux personnes les plus respectables. Car enfin, la haine de ce reproche ne retombe-t-elle pas sur son auteur ? Et qu’ai-je à me reprocher, à moi qui ne fais que demander mon dû ? S’il est vrai que le sieur de Voltaire ne m’a pas payé, comme il n’en est que trop certain, comme il est évident, comme j’offre d’en achever la preuve, en quoi suis-je coupable de m’appuyer d’une lettre qui, en même temps qu’elle établit ma demande, me justifie d’une calomnie ? Ces inconvénients sont-ils mon fait ? En puis-je être garant ? Que ne payait-il sans me noircir dans le public du crime d’exiger deux fois la même dette ? Ne devait-il pas être content de tous les maux qu’il m’a coûtés, de m’avoir engagé dans une affaire malheureuse sur la fausse assurance d’une permission, de m’avoir privé de ma liberté par sa dénonciation calomnieuse, de m’avoir enlevé ma fortune et mon état, sans vouloir encore me ravir l’honneur ? N’ai-je pas à rétorquer son argument contre lui ? N’ai-je pas à lui reprocher de se faire un rempart de sa lettre et des circonstances qu’elle renferme, non-seulement pour me refuser le payement de ce qui m’est dû, mais encore pour me rendre odieux et pour accumuler contre moi calomnie sur calomnie ? Et lorsque le sieur de Voltaire a la hardiesse d’appuyer ses faux raisonnements d’un mensonge aussi grossier que celui de son indigence, lorsqu’avec vingt-huit mille livres de rente, indépendamment des sommes qu’il a répandues dans Paris, il ose avancer qu’il est hors d’état de payer une somme aussi considérable que celle que je lui demande ; se peut-il que quelqu’un se laisse éblouir par ses artifices ? Ne se trahit-il pas lui-même par cette nouvelle fausseté ? Cette dernière circonstance ne montre-t-elle pas clairement ce qu’on doit penser de toutes les autres ; et, dans toute la conduite que le sieur de Voltaire a tenue avec moi, ne voit-on pas un homme à qui rien n’est sacré, qui se joue de tout et qui ne connaît point de moyens illicites, pourvu qu’ils le mènent à son but ?

Enfin le sieur de Voltaire m’oppose une fin de non-recevoir. Il soutient que je suis mal fondé à lui demander le payement d’une édition qui a pu être saisie. Une fin de non-recevoir, est-ce donc là la défense familière du sieur de Voltaire ? C’est ainsi qu’il vient de payer un tailleur pauvre et aveugle, à qui, comme à moi, il oppose une fin de non-recevoir. Voilà donc le payement qui m’était réservé et que ma malheureuse confiance pour le sieur de Voltaire devait me procurer ? Mais est-il recevable lui-même à m’opposer cette fin de non-recevoir ? Après m’avoir séduit par l’assurance d’une permission verbale ; après que je n’ai travaillé que sur la foi de cette permission ; après que, si je suis coupable, je ne le suis que pour m’étre fié à la parole du sieur de Voltaire, puisque dans tous les temps j’ai refusé de laisser répandre l’édition jusqu’à ce que la permission me fût montrée, et