Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/435

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Et nous donner son immortel exemple,
À, sous ton nom, sans doute fait ces vers.

Je le crois effectivement, et c’est vous qui nous abusez.

L’aimable, le divin Voltaire
Écrit, mais il ne fait pas tout :
L’on assure qu’au dieu du Goût
Il ne sert que de secrétaire.

Dites-nous un peu si c’est la vérité, et comment votre état vous permet d’accorder[1] tant d’imagination et tant de justesse, tant de profondeur et tant de légèreté,

Tant de savoir, tant de génie,
Melpomène avec Uranie,
Euclide armé de son compas,
Et les Grâces qui sur tes pas
S’empressent autour d’Émilie ;
Les Ris badins, les Ris moqueurs,
Avec les doctes profondeurs
De l’immense philosophie.

Ce sera, je crois, une énigme pour les siècles futurs, et le désespoir de ceux qui voudront être savants et aimables après vous.

Votre rêve, mon cher Voltaire, quoique très-avantageux pour moi, m’a paru porter le caractère véritable des rêves, qui ne ressemblent jamais parfaitement à la vérité. Il y manque beaucoup de choses pour l’accomplir, et il me semble qu’un esprit prophétique aurait pu y ajouter ceci :

L’ange protecteur de Berlin,
Voulant y porter la science,
Chercha, parmi le genre humain,
Un sage en qui sa confiance
Des beaux-arts remît le destin.
Il ne chercha point dans la France
Ce radoteur, vieille éminence[2],
Qu’un peuple rongé par la faim,
Ou quelque auteur manquant de pain,
Assez grossièrement encense ;
Mais, loin de ce prélat romain,
Il trouva l’aimable Voltaire
Que Minerve même instruisait,
Tenant en ses mains notre sphère.
Qui sagement examinait,
Et tout rigidement pesait
Au poids que, d’une main sévère,
La Vérité lui fournissait.
« Ah ! dit l’ange, c’est mon affaire.

  1. Et comment votre être aussi singulier qu’accompli a pu accorder… (Variante des Œuvres posthumes, édit. de Berlin.)
  2. Le cardinal de Fleury.