Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/454

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passera aisément. Je ne crois pas que l’ouvrage dont je suis chargé ait besoin de ces petits secours.

Je suis, etc.

Voltaire.

1282. — À MADEMOISELLE QUINAULT.
À Bruxelles, ce 3 juin 1740.

Si vous avez, mademoiselle, une petite bibliothèque, je prends la liberté de supplier vos livres de recevoir dans leur compagnie quatre tomes de mes rêveries, qu’on a imprimées en Hollande, et qui sont partis de Charleville par le coche, à votre adresse. C’est M. Helvétius qui a dû se charger de vous les faire tenir ; le paquet est simplement couvert de papier et ficelé : vous y trouverez, parmi mes autres folies, celles du théâtre. Je me recommande toujours à votre génie bienfaisant, pour la nouvelle hardiesse de ma façon qui va affronter les sifflets.

Enfin mon cher ange, M. d’Argental, a ouvert mes yeux à la lumière. Je résistais depuis longtemps ; je craignais le travail de faire un cinquième acte du quatrième de Mahomet ; c’était cependant là l’unique façon d’arriver au but. Enfin j’ai pris ce tournant, et à peine me suis-je mis dans cette route que j’ai été tout seul. En vérité, il n’y a que le mauvais qui coûte. Le cinquième acte m’a fait suer sang et eau, tant que le fonds n’en valait rien. Il n’y a plus eu de fatigue dès que le vrai chemin a été trouvé. Béni soit mon cher ange !

Mme du Châtelet me donnait depuis longtemps ce conseil, et n’était point contente de Mahomet ; elle est enfin satisfaite aujourd’hui : elle prétend que c’est ce que j’ai fait de moins indigne de vos soins ; vous en jugerez en dernier ressort. J’ai bien peur que les promenades ne l’emportent sur Zulime ; mais je retiens l’hiver pour Mahomet. Pourquoi ne voudriez-vous plus de moi dans le royaume de Thalie ? Je crois la mode des tragédies bourgeoises intitulées comédies un peu passée. Si on voulait quelque chose d’intrigué, d’un peu hardi et d’assez plaisant ; si on ne s’effarouchait pas de certaines choses dont on n’était point scandalisé du temps de Poquelin ! Mais ce siècle est si sage !

Je suis à vos pieds, ma charmante Thalie.