Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Laissez donc dans l’erreur profonde
L’esprit entêté de ce monde.
Eh ! que m’importent ses travers,
Pourvu que j’entende vos vers,
Et qu’après le feu de la guerre,
La paix renaissant sur la terre,
Pallas vous conduise à Berlin ?
Là, tantôt au sein de la ville,
Goûtant le plus brillant destin,
Ou préférant le doux asile
De la campagne plus tranquille,
À l’ombre de nos étendards
Laissant reposer le fier Mars,
Nous jouirons, comme Épicure,
De la volupté la plus pure,
Et laissant aux savants bavards
Leur physique et métaphysique ;
À messieurs de la mécanique,
Leur mouvement perpétuel ;
Au calculateur éternel,
Sa fluxion géométrique ;
Au dieu d’Épidaure empirique,
Son grand remède universel ;
À tout fourbe, à tout politique,
Son scélérat Machiavel ;
À tout chrétien apostolique,
Jésus et le péché mortel ;
En nous réservant pour partage
Des biens de ce monde l’usage,
L’honneur, l’esprit, et le bon sens,
Le plaisir, et les agréments.

Jordan traduit son auteur anglais avec la même fidélité que les Septante translatèrent la Bible. Je crois l’ouvrage bientôt achevé. Il y a tant de bonnes choses à dire contre la religion que je m’étonne qu’elles ne viennent pas dans l’esprit de tout le monde ; mais les hommes ne sont pas faits pour la vérité. Je les regarde comme une horde de cerfs dans le parc d’un grand seigneur, et qui n’ont d’autre fonction que de peupler et remplir l’enclos.

Je crois que nous nous battrons bientôt : c’est œuvre assez folle ; mais que voulez-vous ? il faut être quelquefois fou dans sa vie.

Adieu, cher Voltaire. Écrivez-moi plus souvent ; mais surtout ne vous fâchez pas si je n’ai pas le temps de vous répondre. Vous connaissez mes sentiments.

Fédéric.
1472. — À M. DE MAUPERTUIS[1].
Bruxelles,… septembre.

Je vous supplie de revoir encore mon gribouillage. Soyez très-persuadé, mon grand philosophe, que le Père Malebranche n’in-

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.