J’ai reçu dans mes courses la lettre où mon cher aplatisseur de ce globe daigne se souvenir de moi avec tant d’amitié. Est-il possible que je ne vous aie jamais vu que comme un météore toujours brillant et toujours fuyant de moi ? N’aurai-je pas la consolation de vous embrasser à Paris ?
J’ai fait vos compliments à vos amis de Berlin, c’est-à-dire à toute la cour, et particulièrement à, M. de Valori. Vous êtes là, comme ailleurs, aimé et regretté. On m’a mené à l’Académie de Berlin, où le médecin Eller[1] a fait des expériences par lesquelles il croit faire croire qu’il change l’eau en air élastique ; mais j’ai été encore plus frappé de l’opéra de Titus, qui est un chef-d’œuvre de musique[2]. C’est, sans vanité, une galanterie que le roi m’a faite, ou plutôt à lui il a voulu que je l’admirasse dans sa gloire.
Sa salle d’opéra est la plus belle de l’Europe. Charlottenbourg est un séjour délicieux ; Frédéric en fait les honneurs, et le roi n’en sait rien. Le roi n’a pas encore fait tout ce qu’il voulait ; mais sa cour, quand il veut bien avoir une cour, respire la magnificence et le plaisir.
On vit à Potsdam comme dans le château d’un seigneur français qui a de l’esprit, en dépit du grand bataillon des gardes, qui me parait le plus terrible bataillon de ce monde.
Jordan ressemble toujours à Ragotin[3] ; mais c’est Ragotin bon garçon et discret, avec seize cents écus d’Allemagne de pension. D’Argens est chambellan, avec une clef d’or à sa poche et cent louis dedans payés par mois. Chazot[4], ce Chazot que vous avez vu maudissant la destinée, doit la bénir ; il est major, et a un gros escadron qui lui vaut environ seize mille livres au moins par an. Il l’a bien mérité, ayant sauvé le bagage du roi à la dernière bataille[5].
Je pourrais, dans ma sphère pacifique, jouir aussi des bontés
- ↑ Jean-Théodore Eller, né en 1689, mort en 1760. Il était premier médecin du roi de Prusse, et l’un des membres les plus laborieux de l’Académie des sciences de Berlin.
- ↑ Voyez lettre 1618.
- ↑ Personnage du Roman comique de Scarron.
- ↑ Il est question du chevalier de Chazot dans les lettres des 14 novembre et 24 décembre 1751, à Mme Denis.
- ↑ Celle de Czaslaw, livrée le 17 mai 1742.