Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/327

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ment au Palais-Royal avec ses grands carrosses, ses gardes, ses pages, et tout cela ne pouvant ni reculer ni avancer jusqu’à trois heures du matin. J’étais avec Mme du Châtelet ; un cocher, qui n’était jamais venu à Paris, l’allait faire rouer intrépidement. Elle était couverte de diamants ; elle met pied à terre, criant à l’aide, traverse la foule sans être ni volée ni bourrée, entre chez vous, envoie chercher la poularde chez le rôtisseur du coin, et nous buvons à votre santé tout doucement dans cette maison[1] où tout le monde voudrait vous voir revenir.

Suave, mari magno turbantibus æquora ventis,
E terra magnum alterius spectare laborem.

(Lucr., lib. II, v. 1.)

J’ai laissé la Princesse de Navarre entre les mains de M. d’Argental, et le divertissement entre les mains de Rameau. Ce Rameau est aussi grand original que grand musicien. Il me mande « que j’aie à mettre en quatre vers tout ce qui est en huit, et en huit tout ce qui est en quatre ». Il est fou ; mais je tiens toujours qu’il faut avoir pitié des talents. Permis d’être fou à celui qui a fait l’acte des Incas[2]. Cependant, si M. de Richelieu ne lui fait pas parler sérieusement, je commence à craindre pour la fête.

Je suis le plus trompé du monde si Royer n’a pas fait de belles choses dans Promenée[3] ; mais Royer n’a pas eu la grande part de ce monde au larcin du feu céleste. Le génie est médiocre ; on en peut cependant tirer parti. Je voudrais bien, monsieur, qu’à votre retour nous fissions exécuter quelque chose devant vous. Il est juste qu’on amuse celui qui passe sa vie à joindre utile dulci[4].

Adieu, monsieur ; vous êtes aimé où je suis, comme partout ailleurs, et je crois toujours me distinguer un peu dans la foule, car, en vérité, je sens bien vivement tout ce que vous valez. Je le dis de même, et je vous suis attaché de même.


1677. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL.
À Champs, le 18 septembre.

Vraiment, madame, votre idée est très-bonne ; en vous remerciant de vos belles inspirations je tâcherai d’en faire usage.

  1. Hénault demeurait alors dans la rue Saint-Honoré, vis-à-vis les Jacobins.
  2. La seconde des entrées des Indes galantes, dont Rameau a fait la musique, était intitulée les Incas du Pérou.
  3. C’est l’opéra de Pandore ; voyez tome III.
  4. Horace, de Arte poetica, vers 343.