Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/328

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Ne croyez pourtant point qu’au temps de Pierre le Cruel[1], il n’y eût point de barons. Toute l’Europe en était pleine, et il y a toujours eu des barons ridicules.

Si la platitude des vers du janséniste Racine a réussi à la cour, il est clair que des vers d’un ton agréable doivent y être mal reçus.

En vain Boileau a recommandé de

Passer du grave au doux, du plaisant au sévère.

(Art. poét., ch. I, v. 76.)

C’est, à la vérité, la seule manière de se faire lire dans des ouvrages détachés, dans des épîtres, dans des discours en vers. Ce genre de poésie a besoin de sel pour n’être pas fade ; c’est pourquoi je ne reviens pas d’étonnement que M. d’Argental condamne ces vers :

Et le vieux nouvelliste, une canne à la main,
Trace, au Palais-Royal, Ypres, Furne et Menin.

(Évén. de 1744, v. 39.)

Si vous n’aimez pas ces peintures, vous ne pouvez aimer la poésie. Il n’y a que ces images qui la soutiennent. Boileau n’est lu que parce que ses ouvrages sont pleins de ces portraits vrais, plaisants, familiers, qui égayent le ton sérieux, et en varient l’insupportable monotonie. Prenez garde qu’un peu trop de goût pour l’uniformité du sentiment ne vous écarte des idées qui firent fleurir les lettres il y a quatre-vingts ans. Vous ne voulez point de comique dans les comédies. Vous ne voulez point d’images gaies dans les épîtres ; gare l’ennui, gare le néant.

Il faut jeter le Pastor Fido dans le feu, si ces vers-ci ne valent rien :

J’en crois assez votre rougeur,
C’est de nos sentiments le premier témoignage.
— C’est l’interprète de l’honneur.
Cet honneur, attaqué dans le fond de mon cœur,
S’en indigne sur mon visage.

(La Princesse de Navarre, acte III, s ène ii.)

À l’égard des autres détails, il y en a une grande partie sur lesquels je passe condamnation ; mais, soit que je me soumette,

  1. Don Pèdre, surnommé le Cruel ou le Justicier, roi de Castille au XIVe siècle.