Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/44

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me dit point que M. de Maupertuis soit déjà en Silésie ; apparemment qu’il était parti depuis cette lettre écrite. Je suis fâché que M. Dumolard se soit dégoûté sitôt il me semble que Sa Majesté voulait lui donner une pension de deux mille livres mais il y a toujours dans toutes les affaires quelque chose qu’on ne voit point, et qui change les choses que l’on voit. Je m’intéresse tendrement aux vôtres, et je me flatte que votre pension assurée et bien payée vous mettra en état de jouir d’un loisir heureux et de cette indépendance nécessaire au bonheur, surtout à un certain âge, où il faut vivre et penser un peu pour soi.

Je vous enverrai cette édition moitié imprimée, moitié manuscrite. Vous y trouverez quelques changements à la Henriade, et à tous mes autres ouvrages. Je ne sais ce qu’est devenue l’édition que le roi de Prusse avait fait commencer en Angleterre. L’entreprise de la Silésie a tout suspendu.

On dit que les belles-lettres sont encore plus négligées à Paris qu’à Berlin. La comédie est tombée par la retraite de Dufresne et de Mlle  Quinault. Les petits vers dont vous me parlez, et qui m’échappent quelquefois dans mes lettres, ne ressusciteront pas la littérature : ces bagatelles n’ont de prix qu’autant qu’elles font l’agrément de la société mais ce n’est rien pour le public. Il est plus difficile de faire dix vers dans le goût de Boileau que mille dans celui de Chapelle et de Chaulieu.

On dit qu’on va rejouer l’Enfant prodigue, malgré le mal qu’on vous en a dit. On a réimprimé aussi mes pièces fugitives et mes épitres[1], mais on n’y a pas mis les corrections d’un homme difficile[2] qui voulait, au lieu de

Le chien meurt en léchant le maitre qu’il chérit,

(Discours sur la Modération, v. 20.)

mettre

Le chien lèche en criant le maitre qui le bat.

Je crois qu’à présent vous n’êtes plus tant de l’avis de ce juge sévère, qui critique et qui corrige si bien. Je n’ai jamais vu d’homme à humeur qui eût le goût sûr. Vous penserez toujours mieux par vous-même que quand vous vous prêterez au jugement des demi-poëtes qui critiquent tous les vers, et des demi-philosophes qui veulent douter de tout.

  1. Les Épîtres sur le Bonheur, ou Discours sur l’Homme.
  2. La Popelinière. Voyez la lettre 1305.