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année 1751.

Mais en récompense des chiffons que j’envoie, j’attends le sixième chant de votre Art[1] : j’attends le toit du temple de Mars. C’est à vous seul à bâtir ce temple, comme c’était à Ovide de chanter l’Amour, et à Horace de donner la Poétique. Sire, faites des revues, des ports, des heureux :


Sous vos aimables lois, je me flatte de l’être.
Aux yeux de l’avenir vous serez un grand roi,
Et, grâce à votre gloire, on voudra me connaître.
On dira quelque jour, si l’on parle de moi :
« Voltaire avait raison de choisir un tel maître. »

2246. — À M. DE MONCRIF.
À Potsdam. le 17 juin.

J’ai tardé longtemps à vous remercier, mon cher confrère, du beau présent que vous avez bien voulu me faire[2]. Je me flattais de venir vous porter mes remerciements à Paris ; mais ma mauvaise santé ne m’a pas encore permis d’entreprendre ce voyage. Je vous aurais dit de bouche ce que je vous dirai dans cette lettre : que tous vos ouvrages respirent les agréments de votre société et la douceur bienfaisante de votre caractère. Je ferai plus : ils m’enhardissent à m’ouvrir à vous, et à vous demander une marque d’amitié. Je sais qu’on m’a beaucoup condamné à la cour d’avoir accepté les bienfaits dont le roi de Prusse m’honore. J’avoue qu’on a raison, si on ne regarde ma démarche que comme celle d’un homme qui a quitté son maître naturel pour un maître étranger. Mais vous savez mieux que personne la triste situation où j’étais en France. Vous savez que j’essuyais, depuis vingt ans, tout ce que l’envie acharnée de ceux qui déshonorent les lettres plus qu’ils ne les cultivent avait pu imaginer pour me décrier et pour me perdre. Vous savez que l’abbé Desfontaines, qui vendait impunément des poisons dans sa boutique, avait des associés, et qu’il a laissé des successeurs. S’ils s’en étaient tenus aux grossièretés et aux libelles diffamatoires, j’aurais pu prendre encore patience : quoique à la longue cette foule de libelles avilisse, j’aurais supporté cet avilissement, trop attaché en France à la littérature. Mais je savais avec quel artifice et avec quelle fureur on m’avait noirci auprès des personnes les plus respectables du

  1. L’Art de la guerre.
  2. Œuvres de Moncrif, 1751, trois volumes in-12.