Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/488

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Mais il ne faut pas que nous puissions nous appliquer cet autre vers d’Horace :


Æstuat et vitæ disconvenit ordine toto[1].


Si j’étais à Paris, j’y mènerais une vie délicieuse. Mon sort n’est pas moins heureux où je suis, et j’y reste, parce que je suis sûr que demain mon cabinet me sera aussi agréable qu’aujourd’hui. Si ce séjour m’était insupportable, je le quitterais ; j’en ferais autant de la vie. Quand on a ces sentiments-là dans la tête, on n’a pas grand’chose à craindre dans ce monde. Mais c’est une grande pitié de ressembler à des malades qui ne savent quelle posture prendre dans leur lit.

Je vous parle à cœur ouvert comme vous voyez. Je vais continuer sur ce ton. Morand ne s’est pas contenté de faire relier ses anciens ouvrages, et de me les envoyer ; il y a deux endroits où je suis maltraité, à ce qu’on m’a dit ; vous croyez bien que je lui pardonne. Il envoie souvent dans ses feuilles[2] de petits lardons contre moi ; je le lui pardonne encore. Il en a glissé contre ma nièce ; cela n’est pas si pardonnable. Je ne vois pas ce qu’il peut gagner à ces manœuvres. On n’augmentera pas ses appointements, et il ne me perdra pas auprès du roi. Eh, mon Dieu ! de quoi se mêle-t-il ? Que ne songe-t-il à vivre doucement comme nous ? À qui en veut-il ? Que lui a-t-on fait ? Les auteurs sont d’étranges gens. Adieu, soyez très-persuadé que je vous aime avec autant de cordialité que je vous parle. Vous me retrouverez tel que vous m’avez laissé, souffrant mes maux patiemment, restant tout le jour chez moi, n’étant ébloui de rien, ne désirant et ne craignant rien, fidèle à mes amis, et me moquant un peu de la Sorbonne avec Sa Majesté. Iterum vale.


2423. — AU MARÉCHAL DE BELLE-ISLE.
Potsdam, 5 septembre 1752.

Monseigneur, après avoir eu l’honneur de répondre, il y a plus d’un mois[3], à la lettre que vous avez bien voulu m’écrire, je fis partir par les chariots de poste le livre que vous aviez eu la bonté de me demander, et je l’adressai, couvert de toile cirée, au

  1. Livre I, épître i, vers 99.
  2. Voyez la lettre 2405.
  3. Voyez la lettre 2403.