Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vous avez une belle âme d’aimer toujours le tripot au milieu de toutes les atrocités qui vous entourent. Les plus sages sont assurément ceux qui cultivent les arts, et qui aiment le plaisir tandis que les autres se tourmentent.

Le roi de Prusse m’a écrit de Dresde une lettre très-touchante. Je ne crois pourtant pas que j’aille à Berlin plus qu’à Pétersbourg : je m’accommode fort de mes Suisses et de mes Genevois. On me traite mieux que je ne mérite. Je suis bien logé dans mes deux retraites. On vient chez moi ; on trouve bon qu’en qualité de malade je n’aille chez personne. Je leur donne à dîner et à souper, et quelquefois à coucher. Mme Denis gouverne ma maison. J’ai tout mon temps à moi : je griffonne des histoires, je songe à des tragédies ; et quand je ne souffre point, je suis heureux. Vous m’avouerez que ce Dosmont a tort de vouloir que je quitte tout cela pour l’aller entendre à Pétersbourg. S’il avait vu mes platesbandes de tulipes au mois de février, il ne me proposerait pas ses glaces.

On dit que Mlle Dumesnil et Lekain se sont en effet surpassés dans Sémiraims. L’abbé[1] coadjuteur de Retz n’aurait-il pas mieux fait d’aller là qu’à son abbaye ?

Adieu, mon cher et respectable ami. Il n’y a que vous de sage, j’y compte aussi les anges.


Le Suisse Voltaire.

3309. — À M. TRONCHIN, DE LYON[2].
Monrion, 6 février.

Celui qui a écrit une lettre chrétienne à un cardinal chrétien a une âme héroïque et sage, qui distingue la religion de ses abus. Cela est d’autant plus beau que ces abus ont été sur le point de lui coûter la vie, et ont assassiné ses prédécesseurs,

La lettre touchante que j’ai reçue du roi de Prusse, et l’invitation que l’impératrice me fait d’aller à Pétersbourg, ne me feront pas quitter les Délices. Je n’ai nulle envie d’aller à Paris, où l’on est complètement fou.

Je ne crois point vous avoir dit combien la catastrophe de M. d’Argenson[3] m’a pénétré ; le bonhomme Lusignan a été quel-

  1. L’abbé de Chauvelin, alors exilé pour avoir donné sa démission de conseiller de la troisième chambre des enquêtes. (Cl.)
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.
  3. Renvoyé du ministère.