Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

satire, pendant plus de trente années écoulées depuis ce funeste procès. J’aurais dû dire qu’il n’en fut jamais soupçonné dans le public, car je vous avouerai, avec cette franchise qui règne dans mon Histoire[1], et je vous confierai à vous seul, qu’il me récita des couplets contre Lamotte. Voici la fin d’un de ces couplets dont je me souviens :


De tous les vers du froid Lamotte,
Que le fade de Bousset[2] note,
Il n’en est qu’un seul de mon goût ;
Quel ? Qui sait être heureux sait tout.


Je ne ferai jamais usage de cette anecdote, mais vous devez sentir que mon doute est sincère ; et il faut bien qu’il le soit, puisque je l’expose à vous-même. Vous devez sentir encore de quel poids est le testament de mort du malheureux Rousseau. Il faut vous ouvrir mon cœur ; je ne voudrais pas, moi, à ma mort, avoir à me reprocher d’avoir accusé un innocent ; et, soit que tout périsse avec nous, soit que notre âme se réunisse à l’Être des êtres après cette malheureuse vie, je mourrais avec bien de l’amertume si je m’étais joint, malgré ma conscience, aux cris de la calomnie.

Il y a ici une autre considération importante. On m’avait assuré votre mort, il y a quelques années, et je vous avais regretté bien sincèrement. J’ai peu de correspondance à Paris, que je n’ai jamais aimé, et où j’ai très-peu vécu. Je n’ai appris que par votre lettre que vous étiez encore en vie. Je me trouve dans la même ville où monsieur votre père habita longtemps : car je passe mes étés dans une petite terre auprès de Genève, et mes hivers à Lausanne. Je vois de quelle conséquence il est pour vous que les accusations consignées contre la mémoire de monsieur votre père, dans le Supplément au Bayle[3], dans le Supplément au Moréri, et dans les journaux, soient pleinement réfutées. Le temps est venu où je peux tacher de rendre ce service, et peut-être n’y a-t-il point d’ouvrage plus propre à justifier sa mémoire qu’une Histoire générale aussi impartiale que la mienne. On en fait actuellement une seconde édition ; et, quoique le septième volume soit imprimé, je me hâterai de faire réformer

  1. l’Essai sur l’Histoire générale (ou Essai sur les Mœurs), édition de 1756.
  2. J.-B. de Bousset, compatriote de Rameau, mort à Paris en 1725.
  3. Cette expression désigne ici le Dictionnaire historique de Chaufepié.