Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/377

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Madame la margrave me dit qu’elle écrit beaucoup de coquetteries à Son Éminence, mais point de coquineries. Il est assez difficile, en effet, de faire des coquineries à présent. On craint de manquer à ses alliés ; on craint de se trouver seul, et je crois que tous les partis sont un peu embarrassés. Il ne m’appartient pas assurément de prévoir ; il m’appartient à peine de voir ; mais bien des gens, qui ont des yeux, disent qu’après les actions inouïes du roi de Prusse il est moralement impossible que l’Autriche prévale. Voilà un bel exemple de ce que peut la discipline militaire, et de ce que peut la présence d’un roi qui court entre les rangs de ses troupes avant la bataille, et qui appelle beaucoup de ses soldats par leur nom. Il a quarante mille prisonniers ; madame sa sœur me le certifie encore. Sa célérité et ses armes ont donc, en moins de quatre mois, rétabli cette balance que nous voulions si prudemment détruire. Il est vrai que c’est par des miracles qu’il l’a rétablie ; mais nous ne pouvions pas les prévoir, et si la maison d’Autriche n’est pas absolue en Allemagne, ce n’est pas notre faute. La France s’épuise et a dépensé trois cents millions d’extraordinaire en deux ans. J’ai été témoin des déprédations et du brigandage des finances dans la guerre de 1741. Ce talent s’est bien perfectionné dans la guerre présente. La paix paraîtra bientôt nécessaire à tout le monde. Si Son Éminence veut écrire, et si les choses viennent au point qu’elle écrive sérieusement, on pourra trouver une voie plus sûre que celle dont je me suis servi jusqu’ici, et cette voie sera praticable incessamment.


3527. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Breslau, le 16 janvier.

J’ai reçu votre lettre du 22 de novembre, et du 2 de janvier[1], en même temps. J’ai à peine le temps de faire de la prose, bien moins des vers pour répondre aux vôtres. Je vous remercie de la part que vous prenez aux heureux hasards qui m’ont secondé à la fin d’une campagne où tout semblait perdu. Vivez heureux et tranquille à Genève ; il n’y a que cela dans le monde ; et faites des vœux pour que la fièvre chaude héroïque de l’Europe se guérisse bientôt, pour que le triumvirat[2] se détruise, et que les tyrans de cet univers ne puissent pas donner au monde les chaînes qu’ils lui préparent.


Fédéric.

Je ne suis malade ni de corps ni d’esprit, mais je me repose dans

  1. On n’a point trouvé ces lettres ; et plusieurs autres manquent également.
  2. Le triumvirat féminin dont il est question dans une note de la lettre 3502