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CORRESPONDANCE.
3724. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 19 décembre.

Mon cher ange, vous étendez les deux bouts de vos ailes sur tous mes intérêts. Vous voulez que je vous voie et qu’Oreste réussisse : ce seraient là deux résurrections dont la première me serait bien plus chère que l’autre. Je suis un peu Lazare dans mon tombeau des Alpes. Je vous ai envoyé mon visage de Lazare, il y a un an, et si vous tardez à le faire placer à l’Académie, sous la face grasse de Babet#1, bientôt je n’en aurai plus du tout à vous offrir. Je deviens plus que jamais pomme tapée. Ne comptez jamais de ma part sur un visage, mais sur le cœur le plus tendre, toujours vif, toujours neuf toujours plein de vous.

Oui, sans doute, la scène de l’urne est très-changée et très-grecque ; et croyez-moi, les Français, tout Français qu’ils sont, y reviendront, comme les Italiens et les Anglais. Ce n’est qu’à la longue que les suffrages se réunissent sur certains ouvrages et sur certaines gens.

Il n’y avait, à mon sens, autre chose à reprendre que l’instinct trop violent de la nature, dans la scène de reconnaissance ; et pour rendre cet instinct plus vraisemblable et plus attendrissant il n’y a qu’un vers à changer. Electre dit :


D’où vient qu’il s’attendrit ? je l’entend qui soupire.


Voici ce qu’il faut mettre à la place :


oreste

malheureuse Electre !

électre

Il me nomme, il soupire,
Les remords en ces lieux ont-ils donc quelque empire, etc. ?

(Oreste, acte IV, scène v.)

À l’égard de la fin, plus j’y pense, plus je crois qu’il faut la laisser comme elle est ; et je suis très-persuadé, étant hors de l’ivresse de la composition, de l’amour-propre, et de la guerre du parterre, que cette pièce, bien jouée, serait reçue comme Sémiramis, qui manqua d’abord son coup, et qui fait aujourd’hui son[1]

  1. Beruis.