Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/72

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mon attachement et ma douleur ? Il est impossible à mon cœur de retenir ses mouvements.

J’ose me joindre ici à la grande maîtresse des cœurs, à tout ce qui vous entoure, madame, pour pleurer à vos pieds et à ceux de monseigneur le duc ; mais aussi je me joins à eux pour voir dans les princes vos enfants (que Dieu conserve !) les plus grandes et les plus chères espérances, comme la meilleure consolation[1].

Quand pourrai-je, madame, venir partager tous ces sentiments, admirer les vôtres, jouir de vos bontés, et renouveler à Votre Altesse sérénissime, à monseigneur, à toute votre auguste maison, tous mes vœux, avec mon tendre et profond respect !


3192. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, 28 juin.

Mon très-cher ange, j’ai fait venir les frères Cramer[2] dans mon ermitage. Je leur ai demandé pourquoi vous n’aviez pas eu, le premier, ce recueil de mes folies en vers et en prose : ils m’ont répondu que le ballot ne pouvait encore être arrivé à Paris. Ils disent que les exemplaires qui sont entre les mains de quelques curieux y ont été portés par des voyageurs de Genève ; ils en sont la dupe. Lambert a attrapé un de ces exemplaires, et travaille jour et nuit à faire une nouvelle édition. Comment avez-vous pu soupçonner, mon cher ange, que j’aie négligé le premier de mes devoirs ? Votre exemplaire devait vous être rendu par un nommé M. Dubuisson. Le Dubuisson et les Cramer disent qu’ils n’ont point tort ; et moi, je dis qu’ils ont très-grand tort, puisque vous êtes mal servi.

Je n’ai point vu les feuilles de Fréron ; je savais seulement que Catilina[3] était l’ouvrage d’un fou, versifié par Pradon ; et Fréron n’en dira pas davantage. C’est cependant à ce détestable ouvrage qu’on m’immola pendant trois mois ; c’est cette pièce absurde et gothique à laquelle on donna la plus haute faveur.

L’ouvrage de La Beaumelle est bien plus mauvais et bien plus coupable qu’on ne croit : car qui veut se donner la peine de lire avec examen ? C’est un tissu d’impostures et d’outrages faits à toute la maison royale et à cent familles. Il est juste que ce

  1. La copie que nous avons sous les yeux porte éducation. (A. F.)
  2. Voyez lettres 3144 et 3176.
  3. Tragédie de Crébillon, 1748.