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Elle m’a répondu qu’elle attendait la pièce. Que faut-il donc faire, mon cher ange ? La donner à M.  le duc de Choiseul, et que M.  le duc de Choiseul la donne à madame la marquise comme un secret d’État. Elle fera ses observations, elle protégera notre Sicile. Je suis Suisse, il est vrai ; mais je sais mon monde, et je veux que les prêtres sachent que je suis bien en cour.

Vous voyez, mon divin ange, que je donne toujours la préférence au spirituel sur le temporel ; vous serez bientôt outrecuidé d’un mémoire sur Tournay.

Mais M.  le comte de Choiseul[1] part-il bientôt ? Je voudrais lui envoyer quelque chose pour l’amuser sur la route. Qu’il n’oublie point la comtesse de Bentinck à Vienne, s’il veut être amusé.


3878. — À M.  LE DUC DE LA VALLIÈRE.
Aux Délices.

N’ai-je pas tout l’air d’un ingrat, monsieur le duc ? Il me semble que je devrais passer une partie de ma vie à vous remercier de vos bontés, et l’autre à tâcher de vous plaire ; cependant je ne fais rien de tout cela. Je cultive la terre ; je fais quelquefois de mauvais vers ; mais je me garde de les envoyer aux ducs et aux pairs qui ont de l’esprit et du goût. Vous n’allez plus à la Comédie, et par conséquent je ne veux plus en faire ; mais comment peut-on avoir une bibliothèque complète de théâtre[2] et ne point entendre Mlle Clairon ? Comment peut-on acheter fort cher des pièces de Hardi, et ne pas aller à celles de Corneille ? Avez-vous la tragédie de Mirame[3], dont les trois quarts sont du cardinal de Richelieu ? La pièce est bien rare ; c’était un détestable rimailleur que ce grand homme. Le cardinal de Remis faisait mieux des vers que lui, et cependant il n’a pas réussi dans son ministère ; cela est inconcevable. C’est apparemment parce qu’il avait renoncé à la poésie. Le roi de Prusse n’en use pas ainsi ; il fait plus de vers que l’abbé Pellegrin ; aussi a-t-il gagné des batailles.

  1. Les lettres 2424, 3020, 3046, lui sont adressées. — Il remplaçait le duc de Choiseul, son cousin, dans l’ambassade de France à Vienne, et fut nommé, en avril 1766, ambassadeur extraordinaire à Naples.
  2. Le duc de La Vallière avait une immense bibliothèque ; et la partie du théâtre français était une de celles à laquelle il apportait le plus de soin. (B.)
  3. Mirame a été imprimée en 1641, in-folio avec figures ; Voltaire parle de cette pièce, tome XIV, page 64.