Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/347

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puante, parce que son mari puait comme un bouc ? Non, il n’y a point d’hypocrites en Angleterre. Qui ne craint rien ne déguise rien ; qui peut penser librement ne pense point en esclave ; qui n’est point courbé sous le joug despotique séculier ou régulier marche droit et la tête levée. N’ôtez pas au seul peuple de la terre qui jouit des droits de l’humanité ce droit précieux envié par les autres nations. Il a été autrefois fanatique et superstitieux, mais il s’est guéri de ces horribles maladies ; il se porte bien, ne lui contestez pas la santé.

Comme les Français ne sont qu’à demi libres, ils ne sont hardis qu’à demi. Il est vrai que Buffon, Montesquieu, Helvétius, etc., ont donné des rétractations ; mais il est encore plus vrai qu’ils y ont été forcés, et que ces rétractations n’ont été regardées que comme des condescendances qu’on a pour des frénétiques. Le public sait à quoi s’en tenir : tout le monde n’a pas le même goût pour être brûlé que Jean Hus et Jérôme de Prague. Les sages, en Angleterre, ne sont point persécutés ; et les sages, en France, éludent la persécution. Pour les petits pédants de la petite ville de Genève, je vous les abandonne. S’ils sont assez sots pour prendre le parti d’Arius contre celui d’Athanase, et pour prétendre que 4 et 4 font 7, contre des gens qui disent que 4 et 4 font 9, ces maroufles-là devraient au moins être assez hardis pour l’avouer. J’ai pour eux presque autant de mépris que pour les convulsionnaires de Saint-Médard.

Avez-vous entendu parler des Poésies du roi de Prusse imprimées ? C’est celui-là qui n’est point hypocrite ; il parle des chrétiens comme Julien en parlait[1]. Il y a apparence que l’Église grecque et l’Église latine, réunies sous M. de Soltikof et sous M. Daun, l’excommunieront incessamment à coups de canon. Il se défendra comme un diable : nous sommes bien sûrs qu’il sera damné ; mais nous ne sommes pas si certains qu’il sera battu.

Pour nous autres Français, nous sommes écrasés sur terre, anéantis sur mer, sans vaisselle, sans espérance ; mais nous dansons fort joliment. Je ne danse point ; mais je sens tout vôtre mérite, et suis à vous pour jamais : e da bando le cérémonie.

  1. Voyez la lettre 4105.