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4279. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].

Madame, immédiatement après avoir ouvert le paquet de Mme de Bassevitz, je vois que Votre Altesse sérénissime m’honore d’une lettre qui me remplit d’inquiétude ; elle me fait trembler pour le prince Ernest. Ah ! qu’il vive, madame, et que le duc de Virtemberg mange tout ! La guerre est bien affreuse ; mais la crainte pour un fils l’est mille fois davantage. Permettez-moi d’oser, madame, partager tous vos sentiments. Je me jette à vos pieds et à ceux de votre auguste famille, avec tout l’attendrissement et le respect que vous m’inspirez. La grande maîtresse des cœurs est bien alarmée.


4280. — À MADAME DE FONTAINE.
Aux Délices, 29 septembre.

Je suis bien fatigué, ma chère nièce. Monsieur le grand écuyer de Cyrus, monsieur le jurisconsulte, vous avez fait une course à Paris qui est d’une belle âme. Venir voir Tancrède, pleurer, et repartir, c’est un trait que l’enchanteur qui écrira votre histoire et la mienne ne doit pas oublier.

Nous venons aussi déjouer Tancrède de notre côté, et nous vous aurions cent fois mieux aimés à Tournay qu’à Paris. Je vous avertis que la pièce vaut mieux sur mon théâtre que sur celui des comédiens. J’y ai mis bien des choses qui rendent l’action beaucoup plus pathétique. Je n’ai pas eu le temps de les envoyer aux comédiens de Paris ; et d’ailleurs on ne peut commander son armée à cent lieues de chez soi.

Je vous avertis que je la dédie à Mme de Pompadour, non-seulement parce que je lui ai beaucoup d’obligations, mais parce qu’elle a beaucoup d’ennemis, et que j’aime passionnément à braver les cabales. Vous avez pu juger, par ma lettre[2] au roi de Pologne, si je sais dire hardiment des vérités utiles.

Si je voyais votre ami, M. de Silhouette, je lui dirais des vérités inutiles ; je lui dirais qu’il ne fallait pas, dans un temps de crise, faire trembler les créanciers, qu’on ne doit intimider qu’en temps de paix ; et j’ajouterais que si jamais il revient en place, il fera du bien à la nation ; mais je doute qu’il rentre dans le ministère. Je doute aussi que nous ayons la paix qui nous est néces-

  1. Éditeurs, Bavoux et François.
  2. La lettre 4230.