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France prêtent cinquante millions au roi, et qu’ils obtiennent quelques privilèges pour l’intérêt de leur argent ; mais je doute que les bons huguenots aient cinquante millions, et je souhaite que M.  de Silhouette les trouve, fût-ce chez les Turcs…

Tronchin a fait un miracle sur Daumart : il l’a rendu boiteux ; mais j’espère qu’enfin il en viendra à son honneur, et qu’au moins il lui accourcira l’autre jambe pour égaler le tout.

Le roi de Prusse m’envoie toujours plus de vers qu’il n’a de bataillons et d’escadrons. Son commerce est un peu dangereux depuis qu’il est l’allié des Anglais ; il écrit aussi hardiment qu’eux, et ne nous ménage pas plus avec sa plume qu’avec ses baïonnettes. Il fait tout ce qu’il peut pour me rattraper ; c’est un homme rare, et très-bon à fréquenter de loin.

Pour votre frère[1] du grand conseil, je ne lui dis mot, quoique je ne sois point du tout parlementaire. Il me méprise parce qu’on lui a dit que j’étais riche ; si j’étais pauvre, il m’écrirait tous les jours. C’est un drôle de corps que votre frère. Bonsoir, ma chère nièce ; faites-moi écrire des nouvelles, c’est-à-dire des sottises, car on ne fait que cela dans Paris.

P. S. Persuadez M.  d’Argental de faire jouer Oreste comme il est, car je n’y peux rien faire. Je suis occupé ailleurs[2].


3829. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE[3].
Landeshit, 18 avril.

Vos leltres m’ont été rendues sans que housards, ni Francais, ni autres barbares, les aient ouvertes. L’on peut écrire tout ce que l’on veut, et très-impunément, sans avoir cent soixante mille hommes, pourvu qu’on ne fasse rien imprimer. Et souvent on fait imprimer des choses plus fortes que je n’en ai jamais écrit ni n’en écrirai, sans qu’il en arrive le moindre mal à l’auteur ; témoin votre Pucelle. Pour moi, je n’écris que pour me dissiper.

Tout homme qui n’est pas né Français, ou habitué depuis longtemps à Paris, ne saurait posséder la langue au degré de perfection si nécessaire pour faire de bons vers ou de la prose élégante. Je me rends assez de justice sur ce sujet, et je suis le premier à apprécier mes misères à leur juste valeur ; mais cela m’amuse et me distrait ; voilà le seul mérite de mes ouvrages. Vous avez trop de connaissances et trop de goût pour applaudir à d’aussi faibles talents.

  1. L’abbé Mignot.
  2. Voltaire formait sans doute déjà dans sa tête le plan de la tragédie de Tancrède. Voyez plus bas la lettre du 19 mai, à d’Argental.
  3. Réponse à lettre 3818.