Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/89

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L’éloquence et la poésie demandent toute l’application d’un homme ; mon devoir m’oblige de m’appliquer à présent, et très-sérieusement, à autres choses. En considérant tout cela, vous devez avouer que des amusements aussi frivoles ne doivent entrer en aucune considération.

Je ne me moque de personne ; mais je me sens piqué contre des ennemis qui veulent m’écraser autant qu’il est en eux. Et certainement je ne suis pas condamnable d’employer toutes les armes de mon arsenal pour me défendre et pour leur nuire. Après l’acharnement cruel qu’ils ont témoigné contre moi, il n’est plus temps de les ménager.

Je vous félicite d’être encore gentilhomme ordinaire du Bien-Aimé[1]. Ce ne sera pas sa patente qui vous immortalisera ; vous ne devrez votre apothéose qu’à la Henriade, à l’Œdipe, à Brutus, Sémiramis, Mérope, le Duc de Foix, etc., etc. Voilà ce qui fera votre réputation tant qu’il y aura des hommes sur la terre qui cultiveront les lettres, tant qu’il y aura des personnes de goût et des amateurs du talent divin que vous possédez.

Pour moi, je pardonne en faveur de votre génie toutes les tracasseries que vous m’avez faites à Berlin, tous les libelles de Leipsick, et toutes les choses que vous avez dites ou fait imprimer contre moi, qui sont fortes, dures, et en grand nombre, sans que j’en conserve la moindre rancune.

Il n’en est pas de même de mon pauvre président, que vous avez pris en grippe. J’ignore s’il fait des enfants ou s’il crache les poumons. Cependant on ne peut que lui applaudir s’il travaille à la propagation de l’espèce, lorsque toutes les puissances de l’Europe font des efforts pour la détruire.

Je suis accablé d’affaires et d’arrangements. La campagne va s’ouvrir incessamment. Mon rôle est d’autant plus difficile qu’il ne m’est pas permis de faire la moindre sottise, et qu’il faut me conduire prudemment et avec sagesse huit grands mois de l’année. Je ferai ce que je pourrai, mais je trouve la tâche bien dure. Adieu.


Fédéric.

P. S. Si les vers que je vous ai envoyés paraissent, je n’en accuserai que vous. Votre lettre prélude sur le bel usage que vous en voulez faire ; et ce que vous avez écrit à Catt[2] ne me satisfait pas ; mais c’est au reste de quoi je m’embarrasse très-peu.


3830. — À M. LE BARON DE HALLER[3].

J’ai l’honneur de vous renvoyer, monsieur, la lettre que vous avez bien voulu me confier. C’est le malheur des gens oisifs de s’occuper profondément de ces misères, qu’on oublie au bout de deux jours. Le monde ne se soucie guère si un curé de village a eu part ou non à une sottise.

  1. Louis XV.
  2. Cette lettre à Calt est encore inédite.
  3. Biographie d’Albert de Haller (seconde édition), Paris, Delay, 1845. — Desnoiresierres, Voltaire aux Délices.