Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/118

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En tout cas, voici Oreste. Pourquoi tous ceux qui aiment l’antiquité sont-ils partisans de cet ouvrage ? Pensez-vous que Mlle  Clairon ne fît pas un grand effet dans le rôle d’Electre, et Mlle  Dumesnil dans celui de Clytemnestre ? Croyez-vous que les cris de Clytemnestre ne fissent pas un effet terrible ?

Vous aurez, mes anges, un autre petit paquet par la poste prochaine, ou je suis bien trompé ; mais ce paquet ne sera point Fanime : pourquoi ? parce qu’on ne peut faire qu’une chose à la fois, parce que je ne suis pas encore content, parce qu’il ne faut pas voir deux fois de suite un père[1] qui dit noblement à sa fille qu’elle est une catin.

Je vous avoue que j’ai grande envie de savoir si la pièce[2] de Hurtaud vous déplaît autant qu’elle nous a plu ; si d’autres rogatons vous ont amusés ; si vous n’attendez pas incessamment M.  le maréchal de Richelieu. Vous me direz que je suis un grand questionneur ; il est vrai, mes anges.

Nous sommes très-contents de Mlle  Rodogune ; nous la trouvons naturelle, gaie, et vraie. Son nez ressemble à celui de Mme  de Ruffec[3] ; elle en a le minois de doguin ; de plus beaux yeux, une plus belle peau, une grande bouche assez appétissante, avec deux rangs de perles. Si quelqu’un a le plaisir d’approcher ses dents de celles-là, je souhaite que ce soit plutôt un catholique qu’un huguenot ; mais ce ne sera pas moi, sur ma parole.

Mes divins anges, j’ai soixante et sept ans. Comptez que le plus beau portrait qu’on puisse faire de moi est celui que je vous envoyai il y a, je crois, trois ans[4] ; j’étais bien jeune alors. Mille tendres respects.


4385. — À M.  DAMILAVILLE.
22 décembre.

Je profite, monsieur, de vos bontés[5]. J’ai à peine le temps d’écrire un mot ; mais ce mot est que je vous suis attaché comme

  1. Argire et Bénassar.
  2. Le Droit du Seigneur.
  3. La duchesse de Ruffec, veuve, en 1731, du président de Maisons ; morte en septembre 1761.
  4. Vers la fin d’avril 1758 ; voyez les lettres 3603 et 3621.
  5. Damilaville avait le droit, comme premier commis au bureau des Vingtièmes, de contre-signer les paquets qui en sortaient. Il usa souvent de ce moyen de correspondre avec Voltaire, bien moins pour épargner la bourse de ce riche philosophe que pour mettre leurs lettres à l’abri des infidélités de la poste ; ce qui cependant ne leur réussit pas toujours. (Cl.)