Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/173

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mon malheur ; et c’eût été pour le sien, si j’avais le temps de dire ce que je pense de cet impertinent ouvrage. Mais un cultivateur, un maçon, et le précepteur de Mlle Corneille, et le vengeur d’une famille accablée par des prêtres, n’a pas le temps de parler de romans.

Joue-t-on Tancrède ? joue-t-on le Père de famille ? Ô mon cher frère Diderot ! je vous cède la place de tout mon cœur, et je voudrais vous couronner de lauriers[1].


4429. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[2].
Au château de Ferney, pays de Gex, en Bourgogne, par Genève, 22 janvier.

Madame, moi, n’avoir point écrit à Votre Altesse sérénissime ! Moi, coupable d’ingratitude ! Non, madame, il est impossible d’être ingrat avec vous ; il y a trop de plaisir à sentir et à exprimer les sentiments qu’on vous doit. Ce n’est qu’avec les ennuyeux qu’on est ingrat ; on ne l’est jamais envers les vertus aimables.

J’ai eu l’honneur d’écrire à Votre Altesse sérénissime tant que j’ai eu un souffle de vie ; et l’état de faiblesse où je suis me force aujourd’hui de vous remercier de vos bienfaits par une main étrangère. Je reçois le paquet de Mme de Bassevitz. Je vais la remercier ; mais elle permettra que je commence par Mme la duchesse de Gotha.

Je m’étais bien donné de garde, madame, d’adresser par la poste les volumes du Czar Pierre. Le port immense qu’ils auraient coûté eût été une indiscrétion, et le paquet ne valait pas cette dépense. J’envoyai le petit ballot par le commissionnaire Oboussier, de Lausanne. Il m’a plusieurs fois assuré que le paquet était arrivé à Francfort ; je lui écris encore aujourd’hui pour savoir le nom de son correspondant. Le peu de sûreté des voitures publiques est, à la vérité, le plus petit malheur de la guerre ; mais il ne laisse pas d’en être un. Quand finira-t-elle donc, madame, cette guerre funeste ? Mmede Bassevitz n’en souffre-t-elle pas beaucoup ? Son pays n’est-il pas dévasté et rançonné ?

Oserais-je, madame, prendre la liberté de vous demander où est à présent monsieur le landgrave de Hesse ? Serait-il vrai qu’il

  1. Les deux derniers paragraphes se retrouvent dans une lettre à Thieriot, du 25 janvier. Voyez ci-après n° 4433.
  2. Éditeurs, Bavoux et François.