Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ne regrettez-vous pas le chevalier d’Aidie[1] ? Tous nos contemporains s’en vont. Je n’ai que deux jours à vivre ; mais je les emploierai à rendre les ennemis de la raison ridicules.

Je baise le bout de vos ailes ; mais vos yeux ! vos yeux !


4456. — À M.  D’ALEMBERT.
À Ferney, 9 février.

Mon cher et grand philosophe, vous devenez plus nécessaire que jamais aux fidèles, aux gens de lettres, à la nation. Gardez-vous bien d’aller jamais en Prusse : un général ne doit point quitter son armée. J’ai vu un extrait de votre Discours[2] à l’Académie : en vérité, vous faites luire un nouveau jour aux yeux des gens de lettres. Je sais avec quelle bonté vous avez parlé de moi ; j’y suis d’autant plus sensible que vous me couvrez de votre égide contre les gueules des Cerbères ; mais mon intérêt n’entre pour rien dans mon admiration. Pouvez-vous me confier le discours entier ? Vous savez que je n’ai pas abusé de la première faveur[3] ; je serai aussi discret sur la seconde.

M.  de Malesherbes insulte la nation en permettant les infâmes personnalités de Fréron : on aurait dû lui faire déjà un procès criminel. Ce n’est pas de M.  de Malesherbes que je parle. De quel droit ce malheureux ose-t-il insulter Mlle  Corneille, et dire que « son père, qui a un emploi à cinquante francs par mois, la tire de son couvent pour la faire élever chez moi par un bateleur de la Foire » ? Une calomnie si odieuse est capable d’empêcher cette fille de se marier. Mon cher philosophe, je vous jure que nous donnons à Mlle  Corneille l’éducation que nous donnerions à une Montmorency ou à une Châtillon, si on nous l’avait confiée. Nous y mettons nos soins, notre honneur. Si on ne punit pas ce Fréron, on est bien lâche. J’espère encore dans les sentiments d’honneur qui animent M.  Titon et M.  Le Brun. Il n’y a qu’à faire signer une procuration au bonhomme Corneille, et la chose ira d’elle-même.

Vous n’avez pas probablement toute l’Épître[4] d’Abraham Chau-

  1. Voyez une note de la lettre 4445.
  2. Ce discours, lu à l’Académie française, dans une séance publique, le 19 janvier 1761, est intitulé Réflexions sur l’Histoire. D’Alembert y faisait un éloge indirect et délicat de Voltaire arrachant la famille du grand Corneille à l’indigence où elle languissait ignorée. (Cl.)
  3. Voyez le commencement de la lettre 4426.
  4. L’Épître à Daphné : voyez tome X.