Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/231

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Voilà, monsieur, les indignes manœuvres par lesquelles cet homme, plein de fiel et de venin, exhale dans tout le pays et dans toute la France ses fureurs contre quiconque lui déplaît, par lesquelles il se fait redouter de ceux même qui devaient peut-être l’accabler et le punir. Le grand crime du curé de Moëns lui-même n’est pas le prétendu assassinat de Decroze fils, quoique dans cette affaire le curé ait commis par zèle une très-grande imprudence. Son crime est de n’avoir pas plié devant M.  de Voltaire, dans un procès extrêmement juste qu’avait ce curé avec les habitants de Ferney pour les pauvres de sa paroisse, et qu’il a gagné avec dépens au parlement de Dijon ; c’est surtout d’avoir représenté avec force à M.  de Voltaire, qui s’était emparé d’un chemin nécessaire aux habitants du pays, sans en avoir fourni un autre, le préjudice qu’il portait aux paroisses voisines, et qu’il n’avait pas droit de leur porter. M.  de Voltaire a été obligé de rendre le chemin, et ne s’est pas caché qu’il fera pendre le curé s’il peut, dût-il (c’est ce qu’il a ajouté ; faute d’argent comptant, retirer les quatorze à quinze mille livres qu’il a consignées à Gex pour ôter aux jésuites d’Ornex le bien Baltazard.

Croiriez-vous, monsieur, que cet homme vraiment rare dans son espèce a eu l’extravagance de s’afficher plus singulièrement encore. On a, ces jours derniers, récolé et confronté à Gex les témoins dans l’affaire du curé : la veuve Burdet, témoin principal contre lui, et dont la mauvaise vie est publique, s’y rendit comme les autres ; mais comment pensez-vous qu’elle y vint ? Dans un carrosse à quatre chevaux de M.  de Voltaire ; elle y monta à Ferney, chez lui, se rendit à Gex, et de Gex elle revint triomphalement à Ferney, c’est-à-dire l’espace de trois grandes lieues. Jugez de l’effet qu’a dû produire à Gex et dans tout le pays cette scène singulière.

Je ne vous cacherai pas que, pour arrêter, s’il est possible, les fureurs de cet homme, et nous plaindre de ce qu’il ne cesse de faire contre nous, nous nous sommes adressés au ministre, et lui avons envoyé un exemplaire du mémoire du 30 janvier. Nous espérons qu’on aura quelque égard à la justice de nos plaintes. L’on assure ici que M.  de Voltaire se dispose à partir au plus tôt pour Dijon, pour poursuivre l’affaire qu’il a suscitée à M.  Dauphin de Chapeaurouge, au sujet du domaine Baltazard à Ornex, que nous n’avons pas pu aciiuérir encore, qui avait été cédé en antichrèse par les auteurs de MM. Deprez de Crassy, et dans lequel M.  de Voltaire veut bien moins faire rentrer ces messieurs qu’empêcher les jésuites de l’avoir. Que j’aurais d’anecdotes à vous raconter là-dessus ; mais il y a trop longtemps que j’abuse de votre patience, je les réserve pour une autre fois, au cas que ma prolixité d’aujourd’hui ne vous ait pas tout à fait rebuté.

Me permettez-vous, monsieur, d’assurer Mme  Le Bault de mon respect et de ma reconnaissance, et de la prier de vouloir bien vous aider à rabattre les coups que ce vilain mémoire peut m’avoir portés dans votre ville, à moi et aux jésuites en général. Un chevalier et une chevalière comme elle et vous, monsieur, sont très capables de faire valoir une cause plus désespérée que la nôtre.

J’ai l’honneur d’être avec autant de reconnaissance que de respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Fessy, jésuite.