Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/26

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M. duc de Villars, avec tout son monde. Il nous a joué, à huis clos, Gengiskan dans l’Orphelin de la Chine ; il vaut mieux que tous vos comédiens de Paris.

Je suis fort aise, madame, qu’on ait imprimé ma lettre[1] au roi de Pologne. Trois ou quatre lettres par an, dans ce goût-là, écrites aux puissances, ou soi-disant telles, ne laisseraient pas de l’aire du bien. Il faut rendre service aux hommes tant qu’on le peut, quoiqu’ils n’en vaillent guère la peine.

Mon petit parti d’ailleurs m’amuse beaucoup. J’avoue que tous mes complices n’ont pas sacrifié aux Grâces ; mais, s’ils étaient tous aimables, ils ne seraient pas si attachés à la bonne cause. Les gens de bonne compagnie ne font point de prosélytes ; ils sont tièdes[2], ils ne songent qu’à plaire ; Dieu leur demandera un jour compte de leurs talents.

Vous avez bien raison, madame, d’aimer l’Histoire[3] de mon ami Hume ; il est, comme vous savez, le cousin de l’auteur de l’Écossaise. Vous voyez comme il rend, dans cette histoire, le fanatisme odieux.

Ne croyez pas que l’Histoire de Pierre le Grand puisse vous amuser autant que celle des Stuarts ; on ne peut guère lire Pierre qu’une carte géographique à la main ; on se trouve d’ailleurs dans un monde inconnu. Une Parisienne ne peut s’intéresser à des combats sur les Palus-Méotides, et se soucie fort peu de savoir des nouvelles de la grande Permie et des Samoyèdes. Ce livre n’est point un amusement, c’est une étude.

M. le président Hénault ne veut point que je donne Pierre chiquette à chiquette ; je ne le voudrais pas non plus, mais j’y suis forcé. On a un peu de peine avec les Russes, et vous savez que je ne sacrifie la vérité à personne.

Adieu, madame ; si vous aviez des yeux, je vous dirais : Venez philosopher avec nous, parce que vos yeux seraient égayés pendant neuf mois par le plus agréable aspect qui soit sur la terre ; mais ce qui fait le charme de la vie est perdu pour vous, et je vous assure que cela me fait toujours saigner le cœur.

J’ai chez moi un homme d’un mérite rare, homme de grande condition, ancien officier retiré dans ses terres[4] ; il les a quittées pour venir, à cent cinquante lieues de chez lui, philosopher

  1. Voyez n° 4230.
  2. Voltaire songeait au président Hénault en écrivant ceci.
  3. Celle de la maison de Stuart.
  4. D’Argence de Dirac, dont il est question plus haut.