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ments si honorables. Présentez à l’Académie mes respects, ma reconnaissance, et ma soumission, et renvoyez-moi ce manuscrit ; c’est la seule pièce que j’aie.


4683. — A. M. JEAN SCHOUVALOW.
Ferney, 19 septembre.

Monsieur, les mânes de Corneille, sa petite-fille, et moi, nous vous présentons les mêmes remerciements, et nous nous mettons tous aux pieds de votre auguste impératrice. Voici les derniers temps de ma vie consacrés à deux Pierre qui ont tous deux le nom de grand. J’avoue qu’il y en a un bien préférable à l’autre. Cinq ou six pièces de théâtre, remplies de beautés avec des défauts, n’approchent certainement pas de mille lieues de pays policées, éclairées, et enrichies.

Je suis très-obligé à Votre Excellence de m’avoir épargné des batailles avec des Allemands[1]. J’emploierai à servir sous vos étendards le temps que j’aurais perdu dans une guerre particulière. Vous pouvez compter que je mettrai toute l’attention dont je suis capable dans l’emploi des matériaux que vous m’avez envoyés, et que les deux volumes seront absolument conformes à vos intentions. Plus je vois aujourd’hui de campagnes dévastées, de pays dépeuplés, et de citoyens rendus malheureux par une guerre qu’on pouvait éviter, plus j’admire un homme qui, au milieu de la guerre même, a été fondateur et législateur, et qui a fait la plus honorable et la plus utile paix. Si Corneille vivait, il aurait mieux célébré que moi Pierre le Grand, il eût plus fait admirer ses vertus ; mais il ne les aurait pas senties davantage. Je suis plus que jamais convaincu que toutes les petites faiblesses de l’humanité, et les défauts qui sont le fruit nécessaire du temps où l’on est né, et de l’éducation qu’on a reçue, doivent être éclipsés et anéantis devant les grandes vertus que Pierre le Grand ne devait qu’à lui-même, et devant les travaux héroïques que ses vertus ont opérés. On ne demande point, en voyant un tableau de Raphaël ou une statue de Phidias, si Phidias et Rapbaël ont eu des faiblesses ; on admire leurs ouvrages, et on s’en tient là. Il doit en être ainsi des belles actions des héros.

Je ne m’occupe du Commentaire sur Corneille avec plaisir que dans l’espérance qu’il rendra la langue française plus commune

  1. Voyez la lettre du 11 juin, n° 4568.