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4314. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
27 octobre.

Mon divin ange, j’apprends que tous êtes revenu à Paris : vous allez donc reprotéger Tancrède. Vous devez avoir la nouvelle leçon entre les mains ; je l’ai envoyée à Mme  Scaliger.

J’attends tout de mes anges, car les anges de ténèbres me persécutent. On m’a fait tenir une copie de Tancrède capable de déshonorer l’auteur, les comédiens, et les protecteurs, et de faire renoncer à la chevalerie et au théâtre. Il est sûr que bientôt ce détestable ouvrage sera imprimé, comme il est sûr que Pondichéry sera pris. J’imagine, mon cher ange, que vous préviendrez l’une de ces deux turpitudes ; que vous ferez jouer Tancrède, vienne la Saint-Martin ; et alors vous aurez la dédicace, que je fortifierai de quelque nouvelle outrecuidance, car il faut montrer aux sots que les philosophes ont autant d’appui que les persécuteurs des philosophes, et de meilleurs appuis.

Il est donc arrivé malheur au Pierre des Cramer. Ils l’avaient mis sous la protection de M.  de Malesherbes, et on l’a fait moisir à la chambre syndicale, en attendant qu’on l’eût contrefait. On assure que Moncrif avait été nommé pour examinateur de l’Histoire de Russie. L’auteur des Chats[1] n’est pas trop fait pour juger Pierre le Grand ; il y a loin de sa gouttière au Volga et au Jaïk. Ces petites aventures ne me réconcilient pas avec la bonne ville.


Adieu ; je reviendrai quand ils seront changés[2].


Je ne peux, mon cher ange, m’empêcher de vous répéter ce que j’ai dit à Mme  Scaliger de l’effet prodigieux que Mme  Denis a fait dans Fanime. Nota bene que vous aurez cette Fanime quand il vous plaira. Je vous supplierai de me renvoyer cette dernière copie avec la première, la plus ancienne de toutes : car il faut confronter, et quand il n’y aurait qu’un vers heureux à se voler à soi-même, il ne faut rien négliger ; les vieillards sont un peu avares.

Ai-je dit à Mme  d’Argenlal que nous avions joué Fanime devant le fils d’Omerr de Fleury ? Cela nous porta malheur ; elle fut mal jouée ce jour-là ; cependant elle fit assez d’effet.

  1. Allusion à l’Histoire des chats, qui avait valu à Moncrif le litre d’historiogriffe
  2. Dernier vers du Russe à Paris ; voyez tome X.