Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/137

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Je vvous réitère, monsieur, les assurances de l’envie extrême que j’ai de finir l’Histoire de Pierre le Grand à votre satisfaction. Tout malade que je suis, tout surchargé du fardeau des Commentaires sur Pierre Corneille, je me livrerai à Pierre le Grand[1]. Plût à Dieu que je pusse voir l’architecte dont je ne suis que le maçon !

Je serai toute ma vie, avec les sentiments les plus respectueux et les plus tendres, etc. V.


4919. — DU CARDINAL DE BERNIS.
Gallargues, le 4 juin.

Vous pouvez, mon cher confrère, m’adresser à Soissons l’ouvrage des six jours. Je compte arriver à Vic-sur-Aisne vers le 25. La santé de ma nièce est rétablie ; mon âme agitée et déchirée commence à se calmer. Pourquoi renoncez-vous au plaisir de nous revoir ? Vous écrirez encore longtemps, et moi aussi ; vous éclairerez encore longtemps notre siècle, et moi je l’édifierai par mon courage. Je suis très-aise que le roi ait repris pour son gentilhomme le sujet qui fait le plus d’honneur à son règne ; votre crédit à la cour m’intéresse et me divertit. Rien n’est si plaisant aux yeux d’un philosophe que la tragi-comédie de ce monde. Vous regrettez mes petits talents : pour moi, je vous avoue que je ne les aurais pas abandonnés, si l’opinion de la cour et du monde ne les avait pas rendus incompatibles avec les emplois que j’ai exercés et l’état auquel je suis attaché. J’ai connu de bonne heure l’empire du ridicule, et j’ai toujours craint le pouvoir qu’il a en France. Dans les pays étrangers où j’ai vécu, on trouvait un mérite de plus à un ministre de savoir écrire des vers faciles. À Paris et à Versailles, j’ai rencontré à chaque pas comme des obstacles les amusements de ma jeunesse ; cette pédanterie ridicule m’a enfin dégoûté d’un genre qui m’avait amusé, délassé, et quelquefois consolé. Puisque vous faites cas de mon amitié, et que vous ne méprisez pas mon goût, envoyez-moi vos ouvrages ; je vous dirai mon sentiment sans craindre de vous blesser, parce que vous savez que je vous aime, et que je ne vous compare à aucun auteur vivant. Votre gloire m’est aussi chère que ma réputation ; c’est beaucoup dire, car je lui ai sacrifié sans hésiter ce que la fortune a de plus brillant. Ce commerce entre nous sera agréable, sans pouvoir paraître suspect. Je n’aime point du tout la phrase donner de la croyance à quelque chose. Notre Académie ne fera en corps que des ouvrages médiocres. Dieu veuille que nos confrères présents et futurs soutiennent sa réputation, ou plutôt sa considération, par leurs travaux particuliers ! Cette académie n’est utile que par l’émulation qu’elle excite parmi les gens de lettres. Adieu, mon cher confrère ; aimez--

  1. Le second volume de l’Histoire de Russie sous Pierre le Grand n’a vu le jour qu’en 1763.