Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/184

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« Pourquoi traiter des comédiens plus mal que les Turcs ? Ils sont baptisés ; ils n’ont point renoncé à leur baptême. Leur sort est bien à plaindre. Ils sont gagés par le roi et excommuniés par les curés. Le roi leur ordonne de jouer tous les jours, et le rituel de Paris le leur défend. S’ils ne jouent pas, on les met en prison ; s’ils font leur devoir, on les jette à la voirie. Ils sont défendus dans l’ordre des lois, dans l’ordre des mœurs, dans l’ordre des raisonnements, par maître Huerne, de l’ordre des avocats ; et ils sont condamnés par l’avocat Le Dain. On les traite chrétiennement pendant leur vie et après leur mort en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, tandis qu’à Paris, où ils réussissent le mieux, on cherche à les couvrir d’opprobre. Tout le monde veut entrer pour rien chez eux, et on leur ferme la porte du paradis ; on se fait un plaisir de vivre avec eux, et on ne veut pas y être enterré ; nous les admettons à nos tables, et nous leur fermons nos cimetières. Il faut avouer que nous sommes des gens bien raisonnables et bien conséquents. »

Mon cher frère, vous nous faites espérer qu’on pourra enfin demander justice pour les Calas. Il est plaisant qu’il faille s’adresser à l’abbé de Chauvelin pour imprimer en sûreté une lettre de Donat Calas. Votre zèle et votre prudence n’ont rien négligé. Nous vous avons, mon cher frère, plus d’obligation qu’à personne.

Est-il possible qu’il soit si aisé d’être roué, et si difficile d’obtenir la permission de s’en plaindre !


4970 — À M.  LE CARDINAL DE BERNIS.
Aux Délices, le 19 juillet.

Ce n’est pas sans raison, monseigneur, et non sine numine Divum[1], que l’effigie de ma maigre physionomie est au Louvre, précisément au-dessous de votre rond et resplendissant et très-aimable visage ; c’est, comme disent les docteurs, un vrai type. Cela signifie que mon âme reçoit d’en haut les rayons de la vôtre. Vous avez bien voulu m’illuminer plus d’une fois sur mon œuvre des six jours ; vous ne vous êtes point rebuté. Comptez que je sens le prix de vos bontés comme celui de votre esprit et de votre goût. Que Votre Éminence a bien raison de dire[2] que

  1. Æn., II, 777.
  2. Voyez la lettre du cardinal, du 10 juillet, n° 4962.