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4814. — À M.  LEKAIN.
Aux Délices, 26 janvier.

Il est arrivé un singulier inconvénient au paquet de M. Lekain : comme nous avions déclaré que nous ne recevrions aucun gros paquet qui ne fût contre-signé, il était demeuré à la poste ; nous ne l’avons reçu qu’aujourd’hui. J’ai donné à Mme  Denis le paquet qui la regardait ; elle ne l’a pas encore lu, parce que nous avons beaucoup de monde : pour moi, mon cher grand acteur, j’ai lu la lettre qui me regarde ; je suis très-sensible aux marques d’amitié que vous me donnez. J’espère avoir le plaisir de vous embrasser au saint temps de Pâques. On me mande qu’on ne jouera pas Rome sauvée ; ainsi voilà la tracasserie finie ; nous en dirons davantage dans la semaine sainte. Je ne me porte pas trop bien : un travail forcé m’a tué.

Adieu. Je vous embrasse tendrement. V.


4815. — À M.  LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Aux Délices, 27 janvier.

Il y a, monseigneur, une prodigieuse différence, comme vous savez, entre vous et votre chétif ancien serviteur. Vous êtes frais, brillant, vous avez une santé de général d’armée, et je suis un pauvre diable d’ermite, accablé de maux, et surchargé d’un travail ingrat et pénible : c’est ce qui fait que votre serviteur vous écrit si rarement. Je me flatte bien que notre doyen[1] a fait l’honneur à l’Académie de lui présenter notre Dictionnaire. Je le crois fort bon : ce n’est pas parce que j’y ai travaillé, mais c’est qu’il est fait par mes confrères.

Je vous exhorte à voir le Droit du Seigneur, qu’on a follement appelé l’Ècueil du Sage. On dit qu’on en a retranché beaucoup de bonnes plaisanteries, mais qu’il en reste assez pour amuser le seigneur de France qui a le plus usé de ce beau droit. Si vous veniez dans nos déserts, vous me verriez jouer le bailli, et je vous assure que vous recevriez Mme  Denis et moi dans la troupe de Sa Majesté. On dit qu’on a donné des Étrennes aux sots. Assurément ces étrennes-là ne vous sont pas dédiées ; mais s’il fallait envoyer ce petit présent à tous ceux pour qui il est fait, il n’y

  1. Le doyen de l’Académie était Richelieu, qui y avait été reçu en 1720.