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aurait pas assez de papier en France. Je vous avertis que Mlle  Corneille est une laideron extrêmement piquante, et que si vous voulez jouir du droit du seigneur avant qu’on la marie, il faut faire un petit tour aux Délices ; mais malheureusement les Délices ne sont pas sur le chemin du Bec d’Ambez.

Je crois Luc extrêmement embarrassé. Vous savez qui est Luc[1] : cependant il fait toujours de mauvais vers, et moi aussi.

Agréez mon éternel et tendre respect.


4816. — DE M. D’ALEMBERT.
Paris, ce 27 janvier.

Vous avez dû, mon cher et illustre confrère, recevoir il y a peu de temps, par M. Damilaville, le Manuel des Inquisiteurs[2], que j’étais chargé de vous faire parvenir. Que dites-vous de ce monument d’atrocité et de ridicule qui rend tout à la fois l’humanité si odieuse et si à plaindre ? Il n’y a, je crois, de terme dans aucune langue pour exprimer le sentiment que cette lecture fait naître.


On ne peut s’empêcher d’en frémir et d’en rire[3].


L’auteur ou plutôt le traducteur et l’éditeur utile de cette abomination, qu’il était si bon de faire connaître, m’a prié de vous présenter son ouvrage de sa part, en vous assurant des sentiments qu’il vous a voués, et qui vous sont dus par tous les amateurs de la raison et des lettres. Cet auteur est le même abbé Morellet, ou Morlet, ou Mords-les, qui fut mis, il y a dix-huit mois, non à la grande inquisition aragonaise, mais à la petite inquisition de France[4], pour avoir dit, dans une Vision meilleure que celle d’Ézéchiel, qu’une méchante femme, qu’il ne nommait pas était bien malade. Dieu ne tarda pas à venger son prophète, car, avant qu’il fût sorti de prison, la méchante femme était morte : ce qui prouve qu’en effet elle ne se portait pas bien, et qu’il avait eu raison de jeter quelques doutes sur sa santé.

Admirez, mon cher philosophe, combien la raison gagne de terrain : cet ennemi de la persécution, qui travaille si bien à la rendre ridicule, est un prêtre ci-devant théologien ou théologal de l’Encyclopédie, qui nous a donné pour cet ouvrage l’article Figure, où vous verrez entre autres que saint Ambroise ou saint Augustin (je ne sais plus lequel) compare les dimensions de l’arche à celles du corps de l’homme, et la petite porte de l’arche au trou de derrière ; c’est un beau passage qui vous a échappé dans votre chapitre sur les Allégories.

  1. Frédéric II, roi de Prusse.
  2. Voyez la note, tome XXV, page 105.
  3. Regnard, Folies amoureuses, acte II, scène vi.
  4. La liastille ; voyez la note, tome XL, page 412.