Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/333

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Tandis que mon métier maudit
En veut une ardente et volage.
Vous n’employez que des raisons
Quand il faut vous ouvrir ou feindre ;
Je ne peins que des passions :
Il faut les sentir pour les peindre.


Eh ! des passions ! il y a longtemps que je n’en ai plus. Vous, monsieur, qui en avez une si belle, et que la plus charmante ambassadrice du monde doit inspirer, c’est à vous de faire des vers.


Malgré mon âge décrépit,
J’en ferais bien aussi pour elle,
Si vous me donniez votre esprit
Et votre grâce naturelle.


J’aurai quelque chose à vous envoyer le mois prochain ; mais comment m’y prendrai-je ? Ce mois-ci, vous n’aurez rien. Je n’ai que des neiges ; j’en suis entouré, et elles passent dans ma tête. Peut-être en avez-vous autant à Turin ; et je ne sais si vous direz de la neige du Piémont ce que le cardinal de Polignac disait de la pluie de Marly[1]. M. et Mme d’Argental ont cru que je plaisantais en vous suppliant de leur envoyer le Droit du Seigneur. Ils l’avaient en effet, mais ils n’avaient pas une si bonne copie que la vôtre. Mes anges d’ailleurs me rendent la vie bien dure ; ils me donnent des commissions comme on en donnerait au diable de Papefiguière[2] : et des corrections pour cette pièce-ci, et des changements pour cette pièce-là, et des additions, et des retranchements. Mes anges, je ne suis pas de fer ; ayez pitié de moi.

Je demande à Votre Excellence sa protection envers mes anges.

Je vous souhaite force années heureuses, et je vous présente mon très-tendre respect.

  1. Louis XIV lui faisait voir les jardins de Marly, et lui en faisait remarquer les beautés : une averse survint ; le roi voulait interrompre la promenade : « Sire, dit Polignac, la pluie de Marly ne mouille point. »
  2. Voyez le Pantagruel de Rabelais, livre IV, chap. xlv, xlvi, xlvii. La Fontaine y a pris le sujet de son conte intitulé le Diable de Papefiguière.